« Je ne crois plus, avec Voltaire, que l’imprudence soit « une sotte vertu ». Nous avons eu tort de supprimer la cheminée au nom du radiateur, d’avoir soldé nos bicyclettes sous prétexte qu’il y avait des autos, d’avoir négligé de faire, à côté de notre compteur à gaz et de notre compteur électrique, des provisions de bougies, voire de chandelles, de charbons divers et de cotrets. L’imprudence, apanage faussement brillant de l’homme, faisait dire au Cardinal qu’imprudence et misère étaient deux termes synonymes. Je pense en frémissant à certains immeubles que j’ai connus, du côté du parc Monceau, où l’on accédait aux étages uniquement par l’ascenseur. Tant de mépris à l’égard du vieil escalier de nos pères conduit tout droit à regretter l’échelle. Nous la regretterons – et ce sera justice. Nous aurions dû ne jamais cesser de nous exercer à nous servir de nos bras, de nos jambes et de notre tête exactement comme s’il devait être fatal, périodiquement, que nous fussions rendus à notre condition primitive d’hommes nus sur une planète sans confort.
Les prudents ont les dieux pour parents.
C’est un proverbe grec.«
Extrait de la nouvelle « Prudence » dans le recueil Déjeuners de soleil, de Léon-Paul Fargue (1942).
Excellente mise en bouche avant de commencer Homo Confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, de Stefano Boni : un essai intéressant et subversif puisqu’il interroge une notion rarement remise en question, celle du confort, « devenue un idéal absolu ».
Mais que se cache-t-il derrière cette recherche éperdue de confort, de facilité, de moindre effort ? Le confort répond-il à la satisfaction de besoins réels ? Dans une certaine mesure, mais pas ou plus seulement : « Désormais, le confort ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais constitue le cœur d’une logique économique, sociale et psychologique dans laquelle notre sentiment de bien-être repose sur l’accumulation d’objets pratiques et sur le recours systématique à la technologie. » Par conséquent : « Le confort¨ […] offre une satisfaction qui nous assujettit : il génère des subjectivités plus fragiles politiquement, conséquence de l’individualisme et de la perte d’autonomie. »
De l’asservissement de la nature à la recherche éperdue du bien-être, en passant par la perte de nos savoir-faire et de notre expérience multisensorielle d’être au monde, Stefano Boni nous invite à prendre du recul par rapport à ce confort tant prisé. Comme il l’écrit dans la postface, en répondant aux critiques suscitées par la première édition du livre, son but n’est pas de renier le confort – ou un certain confort –, mais de le conscientiser, de l’interroger, de reprendre la main en se demandant individuellement, mais aussi – et surtout – collectivement ce que nous gagnons et ce que nous perdons au cœur de nos vies confortables. Car s’il nous épargne la fatigue, le confort nous endort. Et est-elle encore désirable, fait-elle encore réellement rêver, cette vie perpétuellement endormie ?
Homo Confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, Stefano Boni, L’échappée.
Autre invitation à nous interroger et à reprendre nos vies en main, la nouvelle publication de David Van Reybrouck : Nous colonisons l’avenir. Préoccupé par les questions écologiques, politiques, démocratiques, David Van Reybrouck émet quatre propositions visant à permettre au citoyen de s’impliquer de manière plus active et directe dans la transition écologique.
Nous colonisons l’avenir, David Van Reybrouck, Actes Sud.