Grasset, Littérature étrangère, Livre de poche, Romans

A la (re)découverte de Thomas Mann

Le flot permanent de nouvelles publications nous fait parfois oublier ou reporter indéfiniment la lecture de grands classiques de la littérature, surtout quand ceux-ci sont aussi épais et impressionnants que La Montagne magique de Thomas Mann. Dans ce roman, Hans, jeune homme d’une vingtaine d’année, rend visite à son cousin Joachim en cure dans un sanatorium à Davos (Suisse). Alors que Hans a prévu initialement de séjourner trois semaines là-bas, il y restera finalement… sept ans ! En effet, ce lieu étrange frappe quiconque s’y rend d’une forme de langueur, d’atonie, si bien que très vite se dessine une frontière entre les « gens d’en haut » et ceux du « plat pays ». Hans n’échappe pas à cette fascination… et le lecteur non plus, qui en vient à tenter comme le personnage principal de « s’habituer à ne pas s’habituer », vainement. Et il faut bien de la force de caractère pour parvenir à sortir de cette bulle étrange et retrouver la vie d’en bas. Et de la ténacité, mêlée de plaisir et de fierté, pour arriver au bout de ce volumineux « roman du temps ». Si je n’en ai certainement pas saisi toutes les subtilités, j’ai tout de même apprécié cette lecture, aidée par les notes en fin d’ouvrage, la postface éclairante et, non moins importante, la lecture d’un autre roman paru au mois d’août et consacré à Thomas Mann : Le Magicien, de Colm Tóibín.

« Le Magicien », c’est le surnom octroyé par ses proches à Thomas Mann. Dans ce roman, Colm Tóibín retrace le parcours de ce romancier et intellectuel allemand, prix Nobel de littérature en 1929, homosexuel, mariée à Katia d’origine juive. On découvre l’évolution de la pensée et de l’engagement de Thomas Mann qui traversera les deux guerres mondiales et connaîtra l’exil en Suisse, puis aux Etats-Unis, les tourments intimes de cet homme obligé de cacher ses désirs, ses relations parfois houleuses aves ses proches aux positions plus tranchées et virulentes (son frère Heinrich et ses enfants, Klaus et Erika, notamment). Ce roman évoque également la genèse de certains textes, dont évidemment La Montagne magique, inspirée par un séjour au sanatorium de Davos où était soignée sa femme. Et donne des clés de compréhension de l’homme et de l’œuvre. Une bonne entrée en matière !

A noter : il n’est pas nécessaire de connaître déjà Thomas Mann pour apprécier Le Magicien, de Colm Tóibín.

Nadège

Grasset, Littérature étrangère, Romans

Vers le paradis, Hanya Yanaghiara, Grasset

Paru début septembre, Vers le paradis, impressionnant roman – tant en volume, qu’en qualité – de Hanya Yanaghiara méritait d’attendre une période plus propice afin de le savourer. C’est donc début janvier que j’ai entamé cette lecture. Durant trois semaines, je me suis immergée dans ce(s) formidable(s) livre(s) et j’en suis sortie fascinée par le talent de cette talentueuse autrice.

Si j’écris « livres » au pluriel, c’est que ce roman est en réalité constitué de trois parties intitulées respectivement « LIVRE I », « LIVRE II » et « LIVRE III ». Juste appellation puisque chacune de ces parties nous conte une histoire distincte et pourtant le tout forme un ensemble, un roman. Ce qui relie ces trois « livres », c’est – entre autres – une maison sise Washington Square à New York.

Le premier livre se déroule en 1893. Le récit débute par un dîner dominical dans une famille de le haute société new yorkaise. Ce dîner réunit Nathaniel Bingham et ses trois petits-enfants adultes. Deux d’entre eux sont mariés ; le dernier, David, âgé de 29 ans, est toujours célibataire. A la fin du repas, Nathaniel invite David à le rejoindre dans son bureau pour parler mariage. Début classique, penserez-vous. Pourtant, un détail nous fait basculer dans une autre réalité : dans ce New York du XIXe siècle imaginé par Hanya Yanaghiara, chacun(e) se marie avec qui il ou elle le souhaite, sans jugement d’orientation sexuelle. C’est donc la proposition d’un prétendant que Nathaniel soumet à son petit-fils. David est libre d’accepter ou de refuser… libre aussi de se marier ou non… libre d’aimer là où on son cœur le porte, en théorie. Mais vivre dans un Etat libre suffit-il à l’être vraiment ?

Le deuxième livre s’ouvre cent ans plus tard : 1993, années sida. Un jeune homme originaire d’Hawaï partage la vie d’un homme de trente ans son aîné. Différence d’âges, différence d’origines, différence de classes aussi. Si ce jeune homme n’a que peu de consistance et d’importance aux yeux des amis de son compagnon, il cache un vécu beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

Enfin, le troisième livre, le plus conséquent – la moitié du roman – nous propulse dans un New York de 2093 régit par un gouvernement totalitaire, les libertés individuelles sont de l’histoire ancienne, tellement révolue que peu s’en souviennent. Les épidémies se sont multipliées, le réchauffement climatique s’est intensifié, les rapports humains se sont totalement délités. La narratrice s’interroge sur les activités de son mari après avoir découvert de petits mots dans une boîte. En alternance à son récit, un autre narrateur s’exprime à travers une correspondance écrite des décennies auparavant. Progressivement les récits se rejoignent pour nous dévoiler comment le monde s’est désagrégé en si peu de temps.

Jusqu’au bout Hanya Yanghiara maîtrise son (ses) récit(s). Vers le paradis est un roman d’une grande intelligence, une analyse fine de la société, des comportements humains, des dérives déjà à l’œuvre et de leurs possibles conséquences. C’est un roman qui déstabilise son lecteur en bousculant ses attentes, qui pose sans doute plus de questions qu’il n’apporte de réponses, un grand roman à découvrir.

Nadège

Club de lecture, Grasset, Rentrée littéraire, Romans

Rentrée littéraire – Stardust – Léonora Miano – Grasset

Lecture de Christine

Ce livre raconte assez crûment le quotidien de Louise, femme camerounaise, arrivée à Paris, avec son bébé Bliss, né en France. Cette femme séparée volontairement de son mari, atterrit pour éviter les hôtels miteux du 19ème arrondissement, dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale de Crimée à Paris. Elle nous raconte en phrases courtes, la réalité dans ce centre. Elle dépeint la réalité de quelques femmes présentes dans ce centre et explique la difficulté d’être dans ce statut de paria de la société française. Récit palpitant, assez dur sur la réalité humaine. L’autrice cherche à nous faire réfléchir sur notre façon de considérer l’Autre qui se retrouve dans une difficulté majeure de vie mais elle nous montre aussi les relations qui peuvent s’installer entre humaines quand la dignité est mise à mal.

Grasset, Littérature étrangère

Lumière d’été, puis vient la nuit – Jón Kalman Stefánsson – Grasset

Le dernier roman traduit de Stefánsson, paru en islandais en 2005, est la chronique d’une communauté villageoise des fjords de l’ouest islandais. C’est le récit de leur quotidien, mélange de faits anodins – qui ne le sont pas, ou pas seulement, puisqu’ils sont l’étoffe de leurs jours – et d’événements – qu’on ne peut qualifier de tels que par les effets inattendus et décisifs qu’ils provoquent : ainsi de certain songe en latin, qui bouleverse la vie de celui qu’il visite et change celle du village tout entier.

On retrouve dans Lumière d’été, puis vient la nuit les thèmes des autres romans de l’Islandais : la part déterminante du hasard dans la vie humaine et l’influence des rêves ; la présence de la mort – et même des morts, en l’occurrence ; l’amour, qui est souverain mais ne peut rien contre la chair ; le désir dans toute sa puissance de bouleversement et d’abrutissement ; la quête de sens ; l’écart entre les gestes et les paroles de l’homme, et son cœur, qui « reste tapi sous la surface et n’apparaît jamais en pleine lumière » ; la violence aussi – quand une femme trompée tue une chienne et tous ses chiots.

De même, le roman met en œuvre les procédés familiers au lecteur de Stefánsson. Le narrateur, dont on n’apprend à peu près rien, parle en nous, s’incluant ainsi dans la petite société dont il est l’historiographe et dans l’humanité entière, tout en gardant une distance de témoin. Il s’adresse fréquemment au lecteur, que ce soit pour lui rappeler qu’il lui raconte une histoire, faire appel à sa mémoire ou le prendre à partie concernant ses réactions et ses pensées. Il fait ainsi figure de conteur, déroulant avec une familiarité passionnée le fil de son récit et tissant un lien intime avec ceux qui l’écoutent. Sa parole, fluide et vive, nous emmène et nous retient dans une histoire dense et foisonnante, portée par des personnages auxquels on s’attache vite – sans doute parce qu’ils nous ressemblent et se débattent dans les mêmes difficultés que nous. Il raconte les mouvements et les fluctuances des destins individuels, qu’il entremêle – souvent par le désir et l’adultère – et inscrit ces histoires dans celle du village, du pays et même du monde, de sorte que les temporalités se superposent, s’étalent et s’enroulent, dans un récit au rythme enlevé, écrit dans une langue simple, sobre et juste.

Ce narrateur formule aussi de nombreuses critiques à l’encontre de « notre époque suffocante » et de l’évolution du monde, et d’autres commentaires, beaucoup moins sévères quoique non moins lucides, sur nos errances, nos faiblesses et nos contradictions, qu’il met en lumière avec une ironie tendre, une indulgence réconfortante et un certain sans-façon : « Nous sommes décidément très doués pour énoncer des évidences, mais ne vous y trompez pas, les mots les plus simples expriment souvent les questions fondamentales. »

C’est d’ailleurs toujours de questions fondamentales qu’il s’agit chez Stefánsson, qui nous dit encore une fois, avec justesse et ferveur, combien il est ardu de vivre – combien il est merveilleux de vivre. Il nous présente l’existence et la condition humaines dans leur totalité, leur densité et, le plus souvent, leur complexité, sans en occulter les ombres et sans en voiler les lumières. Il les rend aussi à leur caractère irréductiblement paradoxal, sans chercher jamais à l’évacuer ni même à l’estomper. Il accorde aussi à chaque individu, à chaque vie, une valeur identique, à la fois dérisoire et inestimable, et remet les choses à leur juste place : ce qui importe, ce n’est pas le travail, ou l’argent, ou la réputation, ni même le savoir ; non, « ce qui compte le plus, c’est une robe de velours sombre » – il s’agit là d’un lieu commun, certes, mais il ne semble pas très fréquenté, sinon en paroles. Stefánsson nous rappelle enfin que « la vie est incroyablement étrange », et la rend à sa foncière étrangeté – qui se manifeste dès qu’on prend la peine de regarder.

Belfond, Cherche midi, Grasset, Presses de la cité, Stock

En panne d’idées? En voici les coups de coeur de Nadège

Les coups de coeur de Nadège :

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Paolo Cognetti a reçu le prix Médicis étranger et le Prix Strega (équivalent italien du Prix Goncourt) pour cette belle histoire d’amitié masculine, un thème rarement traité en littérature, qui plus est par un homme. 

Bruno et Pietro ont une douzaine d’années lorsqu’ils se rencontrent. Le premier est un pur montagnard ; le second vient chaque été en vacances dans son village. Si Bruno ne quittera jamais les paysages qui l’ont vu naître et si Pietro continuera ses allées et venues sans jamais se poser, l’amitié nouée dans l’enfance résistera aux temps et à l’absence.

 

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Les début de l’électricité et le combat acharné auquel se livrèrent Georges Westinghouse et Thomas Edison pour en contrôler la distribution vus par Graham Moore (scénariste ayant reçu l’Oscar du meilleur scénario pour The imitation Game). Un roman passionnant qu’on ne peut lâcher une fois commencé !

 

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Trois époques :

1852. Un savant anglais déprimé retrouve enthousiasme et goût à la vie en se passionnant pour les abeilles et la conception d’un nouveau type de ruches.

2007. Un apiculteur américain est confronté au désintérêt de son fils qui n’a aucune envie de reprendre l’exploitation familiale déjà menacée par la disparition progressive – et parfois très soudaine – des abeilles.

2098. Les abeilles ayant disparu, ce sont des ouvriers qui sont chargés de polliniser les fleurs à la main. Quand le fils d’une ouvrière tombe mystérieusement dans le coma après une escapade en forêt, sa mère, Tao, se retrouve au cœur d’une histoire qu’elle ne soupçonnait pas.

 

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« Si un jour tes parents te proposent d’aller au restaurant, surtout ne choisis pas une pizzeria », c’est ce qu’un ami de Max lui a conseillé. En effet, qui dit choix du resto, dit mauvaise nouvelle en perspective. Alors, quand ses parents lui demande ce qu’il aimerait manger, Max répond « des sushis ». Se priver de poisson cru toute sa vie ne lui paraissant pas un grand sacrifice.

En revanche, vivre sans ses deux parents, Max a beaucoup de mal à l’envisager. Alors quand un disque du grand magicien Mosche Goldenhirsch glisse d’un carton de son père, Max pense avoir trouver la solution : le sortilège d’amour éternel, voilà ce qu’il lui faut ! Malheureusement, le disque est rayé juste au mauvais endroit. Max décide alors de retrouve le vieux magicien.

Dans l’esprit du film La vie est belle de Roberto Begnini, Max et la grande illusion est un premier roman touchant et empli de tendresse.

 

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Le frère de Michel, le narrateur, est mort dans un accident de la mine. Un peu plus tard, le père de Michel lui laisse un mot avant de partir : « Venge-nous de la mine ». Cette vengeance, Michel l’a nourrie durant des décennies. Au décès de sa femme, sans héritier, seul survivant d’une famille meurtrie, Michel décide de revenir dans le Nord pour passer à l’acte. Ce qu’il veut ? (R)ouvrir enfin le procès de la mine.

 

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Dans la veine du réalisme magique hispano-américain, Miguel Bonnefoy nous entraîne dans une histoire de légendes, de cannes à sucre, de trésor de pirates et de chercheurs d’or. Un roman très réussi et un jeune auteur à suivre !