Si les textes antiques nous ont appris le déclenchement de la Guerre de Troie ; l’enlèvement d’Hélène, femme de Ménélas, que nous disent-ils sur ce qu’il s’est passé avant ? Quels liens ont les dieux et la cité ?
Pallas, premier tome d’une nouvelle trilogie écrite par Marine Carteron, autrice notamment des Autodafeurs et Generation K, nous plonge aux prémices de la Guerre de Troie.
Ce roman polyphonique féminin est articulé autour de Pallas, fille de Triton et meilleure amie d’Athéna. Zeus la transformera en statue. Celle-ci réside au cœur de Troie, dans le Palladium, un sanctuaire où les femmes peuvent se réfugier.
On suit principalement le parcours d’Hésione, qui nous montre ce que c’est d’être une jeune femme dans la Grèce antique, une jeune femme qui a des envies de liberté, mais qui a cependant un rôle à tenir puisqu’elle est grande prêtresse d’Athéna. Sa mission : aider celle-ci à délivrer Pallas, emprisonnée quelque part, dans la cité de Troie, car Pallas est toujours là, pas vraiment morte, mais pas vraiment en vie non plus.
Si ce premier tome reste très introductif, la modernité apportée par l’autrice, de par son style et de par l’importance qu’elle donne à ces femmes, ne nous éloigne cependant pas du tragique des textes classiques.
Ce récit haletant et passionnant est à découvrir à partir de 14 ans.
Quel que soit le genre (roman, essais, beaux livres…), les arbres inspirent les auteurs. Les romans foisonnent : après, entre autres, le remarquable roman de Karl Marlantes, Faire bientôt éclater la terre, retraçant le parcours de trois immigrés finlandais aux Etats-Unis et l’engagement d’Aino – la soeur – dans la lutte pour les droits des travailleurs – en l’occurrence les bûcherons – à travers la constitution des premiers syndicats ; après l’autre passionnante saga forestière, Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie, récemment parue en poche, ce sont les militants écologistes qui sont au cœur des romans de ce début d’année. En voici trois qui font le malheureux constat que, en des temps et des lieux différents, la forêt souffre et ceux qui la défendent ont bien du mal à faire entendre ses intérêts et ceux du vivant – dont l’être humain – en général.
Les derniers géants d’Ash Davidson, un premier roman publié chez Actes Sud, se déroule en 1977, en Californie du Nord, dans une communauté de bûcherons. Les protagonistes en sont un couple (Rich et Colleen) et leur fils (Chub). Rich a toujours rêvé – comme tous les hommes de la famille qui l’ont précédé – d’acheter la parcelle 24-7 (nommée ainsi d’après un énorme séquoia sis sur cette terre). L’occasion lui en est donnée au début du roman, moyennant un énorme prêt et la mise à sec des économies du couple en vue d’un deuxième enfant. Il va donc contracter ce prêt sans en parler à sa femme et se mettre une pierre autour du cou : l’angoisse de chaque échéance l’étreignant au plus haut point. Colleen, quant à elle fait fausse couche sur fausse couche et culpabilise. Quand un jour réapparaît son amour de jeunesse – mais nous ne sommes pas dans une bluette – qui revient pour aider sa mère, atteinte d’un cancer, et réaliser une étude sur la qualité des eaux de la région : des herbicides sont en effet épandus sur les parcelles pour faciliter l’accès aux séquoias.
S’ensuit un combat acharné entre les bûcherons (dont c’est le gagne-pain), les familles qui prennent peu à peu conscience de l’impact de ces produits sur les corps (on compte de nombreuses fausses couches, des enfants mort-nés ou malformés ; des animaux aussi) et les activistes écologiques. Et évidemment les patrons qui manipulent tout le monde en s’en mettant plein les poches sans aucun scrupule. Un roman qu’on imaginerait bien adapté au cinéma, tant Ash Davison a le sens du détail qui nous fait visualiser et entendre chaque scène.
Gabrielle Filteau-Chiba revient, quant à elle, avec un troisième roman. Après Encabanée et Sauvagines, nous retrouvons Anouk et Raphaëlle pour une aventure engagée et militante. Délaissant leur mode de vie solitaire, elles rejoignent d’abord une ferme communautaire. Si Raphaëlle évolue comme un poisson dans l’eau auprès de ses camarades retrouvés, Anouk a plus de difficulté à gérer la promiscuité, elle qui a depuis longtemps quitté la société pour une vie d’ermite. Elle s’y astreint cependant tant bien que mal. Parallèlement, nous suivons Riopelle, alias Robin, alias… autant d’identité pour un homme qui ne dévoilera vraiment la sienne qu’à la toute fin du récit. En effet, en tant qu’activiste écologique radical, celui-ci a abandonné toute attache personnelle pour servir pleinement la cause. Accablé par les conséquences d’une de ces actions – la mort d’un homme innocent –, il s’engage néanmoins dans un nouveau projet : sauvegarder forêt du Kamouraska menacée par un projet d’oléoduc. Anouk et Raphaëlle rejoindront elles aussi cette opération Bivouac. Celle-ci n’est pas sans risque : les écoguerriers sont prêts à payer cher leur engagement vital pour la Terre.
Vadim, presque trentenaire, n’a jamais travaillé, jamais eu de soucis d’argent, ne jure que par le bitcoin et n’a pas l’intention de mettre un terme à sa vie oisive. C’est sans compter sur la chute du bitcoin qui le met à sec. N’en démordant pas, il fait l’autruche, s’enferme dans son appartement, passant ses journées à jouer aux jeux vidéos et à se faire livrer des plats préparés. C’est n’est qu’en tout dernier recours qu’il se résout à accepter un travail. Nous le découvrons simple stagiaire, mais c’est une mission bien plus dangereuse qu’il s’apprête à remplir : sauver les forêts ukrainiennes détruites par un véritable système mafieux. Un roman sombre et violent d’un jeune auteur ukrainien, aujourd’hui sur le front.
Les Reines d’Emmanuelle Pirotte, collection Cobra des éditions Le Cherche Midi.
C’est un roman qui mérite de rester en librairie longtemps. J’ai beaucoup aimé cette histoire d’amour contrariée sur fond d’épopée dans un monde qui a vécu l’apocalypse et donc les règles de société sont désormais édictées par des Reines. J’ai été happée par cette lecture et l’écriture d’Emmanuelle Pirotte n’y est pas pour rien car il n’y a aucun temps mort. Les personnages sont attachants, les aventures sont prenantes. Une belle lecture que je conseille vivement.
Du grand spectacle combiné à des enjeux Shakespeariens Sur les ruines de nos civilisations, un nouveau monde s’est bâti. L’humanité a renoncé au progrès matériel et retiré au sexe masculin ses anciens privilèges. Les royaumes sont désormais gouvernés par des femmes, autant de Reines que l’épreuve du pouvoir révèle parfois autoritaires et souvent rivales. Dans ce monde aux immenses espaces sauvages, des groupes de nomades, artisans, chasseurs et comédiens se croisent sur les vestiges des routes d’autrefois. Parmi ces communautés, celle des Britannia, où les jeunes Milo et Faith brûlent d’un désir réciproque et néanmoins interdit. Leur attirance va provoquer le bannissement de Milo. Commence alors pour le jeune homme une longue errance à travers les terres du Nord ; mais si Milo espère retrouver Faith, il n’imagine pas combien son voyage obéit aux lois de la destinée – ce grand compas qui, toujours, nous entraîne vers nos origines. Sous la surface agitée de l’épopée, Emmanuelle Pirotte installe le décor et les enjeux de la tragédie antique. Jalousies, tensions amoureuses, filiations cachées, prophéties et voeux de vengeance électrisent les personnages qui se donnent à toutes les passions. Et l’on retrouve enfin, loin des potions prudentes et morales, la plus aberrante et la plus formidable des littératures.
Les imparfaits de Ewoud Kieft, collection »Exofictions » des éditions Actes Sud
Alors que le roman de d’Emmanuelle Pirotte met en scène un monde qui a subi l’apocalypse obligeant les humains à vivre et survivre dans une nature hostile sans l’aide de la technologie, le postulat de Ewoud Kieft est tout autre.
2060. Le réchauffement climatique est passé par là, le capitalisme sauvage a réduit une bonne partie de la population au déclassement social mais l’intelligence artificielle s’est imposée dans la vie des hommes. IA est à la fois, guide pratique, coach de vie pour le travail ou en amour, elle vous permet d’accéder à vos jeux, à l’information en continu (mais seulement celle qui vous intéresse), elle surveille vos faits et gestes et vous donne sans cesse des conseils. C’est même bien plus que ça pour beaucoup, c’est une confidente qu’on appelle GENA.
Cas, un homme d’une trentaine d’année qui vit avec cette intelligence depuis son adolescence, Mais un jour Cas disparaît des radars de GENA qu’il a désactivé. Il a abandonné son appareillage qui le reliait au reste de cette société hypercontrôlée et a rejoint une caste dissidente appelée « Les Imparfaits ».
Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment Gena n’a-t-elle pas compris se qui se tramait dans la tête de Cas ? Gena doit rendre des comptes aux autorités et elle s’interroge, en se remémorant la vie de Cas, sur ce qui a bien pu le pousser à déserter cette vie pourtant si bien réglée et si facile.
Un roman édifiant et très prenant qui pose de bonnes questions sur cette intelligence artificielle qui entre de plus en plus dans notre vie. Que voulons-vous en faire ? Jusqu’où voulons nous laisser cette IA interférer avec nos vies ? Comment garder notre libre-arbitre et notre esprit critique.
Une très bonne lecture que je vous conseille vivement.
L’an dernier, Mickaël Brun-Arnaud nous offrait un petit bijou de littérature jeunesse intitulé Mémoires de la forêt. Les souvenirs de Ferdinand Taupe. Poésie, tendresse, humour et jolies illustrations s’entremêlaient dans ce premier roman prometteur. Un an plus tard, le deuxième tome mettant en scène la forêt de Bellécorce et ses habitants est tout aussi réussi : sous-titrée Les carnets de Cornélius Renard, cette nouvelle aventure nous fait découvrir les origines de la librairie d’Archibald Renard. Mais c’est au terme d’une véritable aventure que se révèleront les secrets de cette fabuleuse création.
Alors qu’Archibald mène des jours paisibles dans sa librairie, conseillant ses clients et tentant laborieusement d’écrire son premier livre, alors que les festivités d’automne se préparent à Bellécorce et qu’une atmosphère joyeuse emplit les cœurs, surgit Célestin Loup. Cet inconnu se présente comme le véritable propriétaire de la librairie – preuves à l’appui – et accuse les Renard d’avoir spolié l’établissement de sa famille depuis trois générations. Archibald est aussitôt expulsé et mis à la rue par le maire de Bellécorce. Complètement désemparé, il se raccroche à un petit objet découvert dans ses maigres affaires : un carnet de son grand-père. Celui-ci y mentionne l’existence d’autres carnets dans lesquels il aurait rédigé l’histoire de sa vie et raconté la genèse de la librairie. Comprenant que ceci est son seul espoir pour éclaircir cette triste situation, Archibald part en quête des secrets de son grand-père, accompagné de son neveu Bartholomé, grand lecteur de romans policiers.
Un nouveau roman passionnant et touchant qui donne très envie de découvrir le troisième tome de la série, dont la parution est déjà annoncée pour la fin de cette année.
En février dernier paraissait un nouveau recueil de nouvelles de Jean-Marie Gustave Le Clézio. Le prix de Nobel de littérature 2008 nous y donne des « nouvelles des indésirables » : ces hommes, ces femmes, ces enfants invisibles parce que nous refusons de les regarder. On y retrouve l’attention de Le Clézio aux êtres en marge, la qualité de son écriture et sa sensibilité. Tendresse particulière pour Maureez Samson, jeune orpheline à la voix d’or, qui donne son nom au premier texte du recueil, et à la nouvelle « Fantômes dans la rue » rendant le temps de quelques pages un corps et une vie à ces personnes sur lesquelles notre regard glisse trop souvent sans s’y attarder.
Autre recueil, paru en janvier et tout frais lauréat du Prix Goncourt de la Nouvelle : Partout les autres, de David Thomas. Des textes courts – d’un paragraphe à quelques pages – tour à tour incisifs, drôles ou touchants, toujours percutants. Un auteur à découvrir absolument. Et des textes parfaits pour les emplois du temps chargés : vite lus – et relus ! -, mais qui infusent longtemps.