Quel que soit le genre (roman, essais, beaux livres…), les arbres inspirent les auteurs. Les romans foisonnent : après, entre autres, le remarquable roman de Karl Marlantes, Faire bientôt éclater la terre, retraçant le parcours de trois immigrés finlandais aux Etats-Unis et l’engagement d’Aino – la soeur – dans la lutte pour les droits des travailleurs – en l’occurrence les bûcherons – à travers la constitution des premiers syndicats ; après l’autre passionnante saga forestière, Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie, récemment parue en poche, ce sont les militants écologistes qui sont au cœur des romans de ce début d’année. En voici trois qui font le malheureux constat que, en des temps et des lieux différents, la forêt souffre et ceux qui la défendent ont bien du mal à faire entendre ses intérêts et ceux du vivant – dont l’être humain – en général.

Les derniers géants d’Ash Davidson, un premier roman publié chez Actes Sud, se déroule en 1977, en Californie du Nord, dans une communauté de bûcherons. Les protagonistes en sont un couple (Rich et Colleen) et leur fils (Chub). Rich a toujours rêvé – comme tous les hommes de la famille qui l’ont précédé – d’acheter la parcelle 24-7 (nommée ainsi d’après un énorme séquoia sis sur cette terre). L’occasion lui en est donnée au début du roman, moyennant un énorme prêt et la mise à sec des économies du couple en vue d’un deuxième enfant. Il va donc contracter ce prêt sans en parler à sa femme et se mettre une pierre autour du cou : l’angoisse de chaque échéance l’étreignant au plus haut point. Colleen, quant à elle fait fausse couche sur fausse couche et culpabilise. Quand un jour réapparaît son amour de jeunesse – mais nous ne sommes pas dans une bluette – qui revient pour aider sa mère, atteinte d’un cancer, et réaliser une étude sur la qualité des eaux de la région : des herbicides sont en effet épandus sur les parcelles pour faciliter l’accès aux séquoias.
S’ensuit un combat acharné entre les bûcherons (dont c’est le gagne-pain), les familles qui prennent peu à peu conscience de l’impact de ces produits sur les corps (on compte de nombreuses fausses couches, des enfants mort-nés ou malformés ; des animaux aussi) et les activistes écologiques. Et évidemment les patrons qui manipulent tout le monde en s’en mettant plein les poches sans aucun scrupule. Un roman qu’on imaginerait bien adapté au cinéma, tant Ash Davison a le sens du détail qui nous fait visualiser et entendre chaque scène.

Gabrielle Filteau-Chiba revient, quant à elle, avec un troisième roman. Après Encabanée et Sauvagines, nous retrouvons Anouk et Raphaëlle pour une aventure engagée et militante. Délaissant leur mode de vie solitaire, elles rejoignent d’abord une ferme communautaire. Si Raphaëlle évolue comme un poisson dans l’eau auprès de ses camarades retrouvés, Anouk a plus de difficulté à gérer la promiscuité, elle qui a depuis longtemps quitté la société pour une vie d’ermite. Elle s’y astreint cependant tant bien que mal. Parallèlement, nous suivons Riopelle, alias Robin, alias… autant d’identité pour un homme qui ne dévoilera vraiment la sienne qu’à la toute fin du récit. En effet, en tant qu’activiste écologique radical, celui-ci a abandonné toute attache personnelle pour servir pleinement la cause. Accablé par les conséquences d’une de ces actions – la mort d’un homme innocent –, il s’engage néanmoins dans un nouveau projet : sauvegarder forêt du Kamouraska menacée par un projet d’oléoduc. Anouk et Raphaëlle rejoindront elles aussi cette opération Bivouac. Celle-ci n’est pas sans risque : les écoguerriers sont prêts à payer cher leur engagement vital pour la Terre.

Vadim, presque trentenaire, n’a jamais travaillé, jamais eu de soucis d’argent, ne jure que par le bitcoin et n’a pas l’intention de mettre un terme à sa vie oisive. C’est sans compter sur la chute du bitcoin qui le met à sec. N’en démordant pas, il fait l’autruche, s’enferme dans son appartement, passant ses journées à jouer aux jeux vidéos et à se faire livrer des plats préparés. C’est n’est qu’en tout dernier recours qu’il se résout à accepter un travail. Nous le découvrons simple stagiaire, mais c’est une mission bien plus dangereuse qu’il s’apprête à remplir : sauver les forêts ukrainiennes détruites par un véritable système mafieux. Un roman sombre et violent d’un jeune auteur ukrainien, aujourd’hui sur le front.
Nadège