« Je ne crois plus, avec Voltaire, que l’imprudence soit « une sotte vertu ». Nous avons eu tort de supprimer la cheminée au nom du radiateur, d’avoir soldé nos bicyclettes sous prétexte qu’il y avait des autos, d’avoir négligé de faire, à côté de notre compteur à gaz et de notre compteur électrique, des provisions de bougies, voire de chandelles, de charbons divers et de cotrets. L’imprudence, apanage faussement brillant de l’homme, faisait dire au Cardinal qu’imprudence et misère étaient deux termes synonymes. Je pense en frémissant à certains immeubles que j’ai connus, du côté du parc Monceau, où l’on accédait aux étages uniquement par l’ascenseur. Tant de mépris à l’égard du vieil escalier de nos pères conduit tout droit à regretter l’échelle. Nous la regretterons – et ce sera justice. Nous aurions dû ne jamais cesser de nous exercer à nous servir de nos bras, de nos jambes et de notre tête exactement comme s’il devait être fatal, périodiquement, que nous fussions rendus à notre condition primitive d’hommes nus sur une planète sans confort.
Les prudents ont les dieux pour parents.
C’est un proverbe grec.«
Extrait de la nouvelle « Prudence » dans le recueil Déjeuners de soleil, de Léon-Paul Fargue (1942).
Excellente mise en bouche avant de commencer Homo Confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, de Stefano Boni : un essai intéressant et subversif puisqu’il interroge une notion rarement remise en question, celle du confort, « devenue un idéal absolu ».
Mais que se cache-t-il derrière cette recherche éperdue de confort, de facilité, de moindre effort ? Le confort répond-il à la satisfaction de besoins réels ? Dans une certaine mesure, mais pas ou plus seulement : « Désormais, le confort ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais constitue le cœur d’une logique économique, sociale et psychologique dans laquelle notre sentiment de bien-être repose sur l’accumulation d’objets pratiques et sur le recours systématique à la technologie. » Par conséquent : « Le confort¨ […] offre une satisfaction qui nous assujettit : il génère des subjectivités plus fragiles politiquement, conséquence de l’individualisme et de la perte d’autonomie. »
De l’asservissement de la nature à la recherche éperdue du bien-être, en passant par la perte de nos savoir-faire et de notre expérience multisensorielle d’être au monde, Stefano Boni nous invite à prendre du recul par rapport à ce confort tant prisé. Comme il l’écrit dans la postface, en répondant aux critiques suscitées par la première édition du livre, son but n’est pas de renier le confort – ou un certain confort –, mais de le conscientiser, de l’interroger, de reprendre la main en se demandant individuellement, mais aussi – et surtout – collectivement ce que nous gagnons et ce que nous perdons au cœur de nos vies confortables. Car s’il nous épargne la fatigue, le confort nous endort. Et est-elle encore désirable, fait-elle encore réellement rêver, cette vie perpétuellement endormie ?
Homo Confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, Stefano Boni, L’échappée.
Autre invitation à nous interroger et à reprendre nos vies en main, la nouvelle publication de David Van Reybrouck : Nous colonisons l’avenir. Préoccupé par les questions écologiques, politiques, démocratiques, David Van Reybrouck émet quatre propositions visant à permettre au citoyen de s’impliquer de manière plus active et directe dans la transition écologique.
Nous colonisons l’avenir, David Van Reybrouck, Actes Sud.
Elle sort de la forêt seule sur son cheval. Agée de dix-sept ans, dans la froide bruine de mars, Marie, qui vient de France.
Ainsi commence la légendaire histoire de Marie de France selon Lauren Groff. Légendaire, car on ne connaît rien de la biographie de cette poétesse du Moyen Age : un terrain de jeu idéal pour une romancière. Celle-ci attribue à Marie tous les atours d’un personnage de conte : Marie provient d’une lignée de viragos, des « sauvageonnesqui filaient au grand galop à travers la campagne, montaient scandaleusement à califourchon, s’entraînaient avec leurs maîtres d’armes à l’épée et au poignard, connaissaient huit langues, plus un peu d’arabe et de grec, et tous ces manuscrits poussiéreux, imaginez toutes ces femmes contre-nature professant leurs opinions trop fort, se coupant la parole, argumentant, se battant jusqu’au sang, apprenant à manier la hache d’armes, ces femmes si étranges et si brutales ». Marie est géante (trois têtes de plus qu’une femme « normale »), disgracieuse, le visage chevalin… en un mot, Marie est laide. Cependant, à cette laideur s’ajoutent une volonté de fer, de l’orgueil et de l’ambition, toutes qualités qui lui permettront de devenir une abbesse crainte, respectée et aimée de ses sœurs qui la suivront, malgré de forts désaccords parfois, dans toutes ses entreprises.
Mais reprenons, Marie a dix-sept ans et s’apprête à entrer dans les ordres, contre son gré, mais selon la décision d’Aliénor d’Aquitaine, bien heureuse de se débarrasser de cette bâtarde, en lui dégottant par faveur papale, une place de prieure dans une abbaye royale. « Au moins savait-on à présent quoi faire de cette étrange demi-sœur, bâtarde de sang royal. Au moins, à présent, avait-elle une utilité. » Les commérages vont bon train, certaines ne donnent pas cher de la jeune fille et, pourtant, au fil des ans, Marie trouve sa place dans la communauté, sa rage se mue en amour pour ses sœurs et sa volonté de les protéger et de faire de l’abbaye un refuge de paix en autarcie ne cessera de croître : arrivée en pleine période de malefaim et de pauvreté, Marie laissera une abbaye riche et prospère quelques décennies plus tard.
Récit d’une femme ambitieuse, Matrix est aussi une immersion sensorielle, sensuelle, charnelle : l’écriture de Lauren Groff exhale les odeurs, les matières, le froid, la chaleur, les désirs, le plaisir et la douleur… C’est un plongeon dans une époque où l’être humain était en contact direct avec le monde, sans écran, sans aseptisation. Tout se respire, tout s’éprouve.
C’est aussi un roman d’une grande modernité, un parti pris qui pourrait surprendre ou déranger comme une forme d’anachronisme mais qui n’est l’est peut-être pas tant que ça. En effet, un nouveau courant s’ouvre pour redécouvrir l’histoire des femmes sous un autre prisme, notamment les femmes du Moyen Age.
Ainsi Janina Ramirez nous invite à faire connaissance avec des Femmes remarquables du Moyen Age, sans « réécrire l’histoire », en « utilis[ant] les mêmes faits, chiffres, événements et preuves que ceux auxquels nous avons toujours eu accès, associés aux avancées et découvertes récentes. La différence est [qu’elle] déplace le centre de l’attention ». Expliquant sa démarche : « [t]rouver des femmes du Moyen Age émancipées et dotées d’une capacité d’action est ma façon d’infléchir la réflexion, en proposant de nouveaux récits aux lecteurs d’aujourd’hui. »
Quant aux auteurs de La femme dans la cité au Moyen Age, « ils mettent en exergue le rôle social de la femme médiévale » en « s’appuyant sur des écrits relatifs à la vie quotidienne », « reprenant de nombreuses histoires et anecdotes ».
Le flot permanent de nouvelles publications nous fait parfois oublier ou reporter indéfiniment la lecture de grands classiques de la littérature, surtout quand ceux-ci sont aussi épais et impressionnants que La Montagne magique de Thomas Mann. Dans ce roman, Hans, jeune homme d’une vingtaine d’année, rend visite à son cousin Joachim en cure dans un sanatorium à Davos (Suisse). Alors que Hans a prévu initialement de séjourner trois semaines là-bas, il y restera finalement… sept ans ! En effet, ce lieu étrange frappe quiconque s’y rend d’une forme de langueur, d’atonie, si bien que très vite se dessine une frontière entre les « gens d’en haut » et ceux du « plat pays ». Hans n’échappe pas à cette fascination… et le lecteur non plus, qui en vient à tenter comme le personnage principal de « s’habituer à ne pas s’habituer », vainement. Et il faut bien de la force de caractère pour parvenir à sortir de cette bulle étrange et retrouver la vie d’en bas. Et de la ténacité, mêlée de plaisir et de fierté, pour arriver au bout de ce volumineux « roman du temps ». Si je n’en ai certainement pas saisi toutes les subtilités, j’ai tout de même apprécié cette lecture, aidée par les notes en fin d’ouvrage, la postface éclairante et, non moins importante, la lecture d’un autre roman paru au mois d’août et consacré à Thomas Mann : Le Magicien, de ColmTóibín.
« Le Magicien », c’est le surnom octroyé par ses proches à Thomas Mann. Dans ce roman, Colm Tóibín retrace le parcours de ce romancier et intellectuel allemand, prix Nobel de littérature en 1929, homosexuel, mariée à Katia d’origine juive. On découvre l’évolution de la pensée et de l’engagement de Thomas Mann qui traversera les deux guerres mondiales et connaîtra l’exil en Suisse, puis aux Etats-Unis, les tourments intimes de cet homme obligé de cacher ses désirs, ses relations parfois houleuses aves ses proches aux positions plus tranchées et virulentes (son frère Heinrich et ses enfants, Klaus et Erika, notamment). Ce roman évoque également la genèse de certains textes, dont évidemment La Montagne magique, inspirée par un séjour au sanatorium de Davos où était soignée sa femme. Et donne des clés de compréhension de l’homme et de l’œuvre. Une bonne entrée en matière !
A noter : il n’est pas nécessaire de connaître déjà Thomas Mann pour apprécier Le Magicien, de Colm Tóibín.
Qui est Astra ? Observez la couverture, elle vous en offre déjà une idée : Astra, c’est une femme multiple, changeante, différente suivant le regard qui se porte sur elle, suivant le moment de vie où nous la découvrons. Car c’est ainsi que se déploie le roman, à travers divers points de vue et épisodes de l’existence d’Astra : de sa naissance – voire sa conception – à sa vieillesse, nous avançons, nous découvrons ce personnage étonnant, insupportable, attachant… Qu’elle subjugue ou qu’elle exaspère, qu’elle attire l’envie de protection ou la jalousie, Astra ne laisse personne indifférent. Enfant indésirée, orpheline de mère (morte en couches), « élevée » par son père, sur un coup de dé, dans une communauté utopiste, Astra pousse comme elle peut, grandit, se débat avec les traumatismes, les aléas, les rencontres bonnes ou mauvaises. Astra est singulière, Astra est universelle, Astra est un être humain qui tente de se trouver et de faire sa place.
J’ai trouvé ce roman très touchant et j’ai beaucoup aimé cette construction en fragments, ces scènes de vie que l’on prend en cours, que l’on quitte sans connaître tout à fait la suite, et l’évolution non seulement de ce personnage, Astra, mais aussi de ceux qui croisent sa route. Cedar Bowers nous montre à quel point nous sommes des êtres complexes : bien présomptueux sommes-nous de penser connaître ceux qui nous entourent. On sort de cette lecture avec l’envie de se montrer plus indulgents et bienveillants, envers nos amis, nos parents, nous-mêmes.
D’où vient cette peur enfantine d’un incendie qui ravagerait la maison, détruirait les objets, les carnets, ce qui constitue une vie, si jeune soit-elle ? Mystère. Bruno Pellegrino « ne sai[t] pas d’où vient cette inquiétude. L’enfant n’a pas connu d’arrachement, cette chambre est la sienne depuis toujours. Mais si cela devait arriver, s’il fallait partir, il veut être prêt. Il range dans le dernier tiroir de son bureau ses biens les plus précieux […] La nuit où la maison brûlera, lorsque sa mère viendra le chercher et lui dira de sortir, vite, vite, il n’aura qu’à emporter le tiroir avant de quitter la chambre. » Chaque dimanche, le rituel se répète : trier, jeter, conserver.
Plus tard, la question se pose de savoir que garder de la vie des autres : cette écrivaine décédée dont il est chargé d’inventorier les documents ; Marthe, la poétesse inconnue qu’il recherche avec minutie ; Françoise, l’héritière du poète suisse Gustave Roud, qui elle-même entretient fidèlement la mémoire du grand homme en classant ses photos, en prenant soin de sa maison. Trier, conserver, jeter, exhumer et entretenir la mémoire, rendre vie en sortant de l’oubli, préserver ces petits riens qui font une vie, traquer la mention d’un nom dans une nécrologie, s’interroger : que signifie archiver ? Tout conserver ou sélectionner ? Et si l’on sélectionne, est-ce encore faire œuvre de mémoire ou plutôt œuvre d’oubli ? « si fabriquer des archives consiste à en détruire la pus grande partie, alors l’archive n’est pas un moyen de garder la mémoire, mais une méthode pour apprendre à oublier »
Et puis, que signifie oublier, se souvenir ? Qu’est-ce que la mémoire ? Comment fonctionne-t-elle ? Existe-t-elle seulement ? Ainsi que nos souvenirs ? Ou ne sont-ils qu’une fiction, des images qui « s’altère[nt] », que l’on reconstruit, dont on se persuade ?
Tortues constitue l’autoportrait d’un auteur en une mosaïque de souvenirs, d’enquêtes sur soi et sur d’autres, un recueil à la fois personnel et universel, où l’on retrouve la patte poétique reconnaissable de Bruno Pellegrino, déjà appréciée dans son roman Là-bas, août est un mois d’automne.
Mais que se cache-t-il derrière cette recherche éperdue de confort, de facilité, de moindre effort ? Le confort répond-il à la satisfaction de besoins réels ? Dans une certaine mesure, mais pas ou plus seulement : « Désormais, le confort ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais constitue le cœur d’une logique économique, sociale et psychologique…
Le flot permanent de nouvelles publications nous fait parfois oublier ou reporter indéfiniment la lecture de grands classiques de la littérature, surtout quand ceux-ci sont aussi épais et impressionnants que La Montagne magique de Thomas Mann. Dans ce roman, Hans, jeune homme d’une vingtaine d’année, rend visite à son cousin Joachim en cure dans un…
Le 22 février 1942, exilé à Pétropolis, Stefan Zweig met fin à ses jours avec sa femme, Lotte. Le geste désespéré du grand humaniste n’a cessé, depuis, de fasciner et d’émouvoir. Mêlant le réel et la fiction, ce roman restitue les six derniers mois d’une vie, de la nostalgie des fastes de Vienne à l’appel des ténèbres. Après la fuite d’Autriche, après l’Angleterre et les États-Unis, le couple croit fouler au Brésil une terre d’avenir. Mais l’épouvante de la guerre emportera les deux êtres dans la tourmente – Lotte, éprise jusqu’au sacrifice ultime, et Zweig, inconsolable témoin, vagabond de l’absolu.
Grand auteur ayant marqué son époque, Stefan Zweig est dépeint ici par Laurent Seksik qui, avec une grande justesse et sensibilité, raconte, de manière « romancée », les 180 derniers jours de l’écrivain ainsi que de sa femme, Lotte. Cet exil précipité, les éloignant de la guerre, les ont approchés de la mort. Zweig est décrit comme torturé, dans une errance constante, l’homme qui avait tout, devint l’ombre de lui-même. Se sentant comme un paria, un lâche, un vagabond… l’homme qui avait tant écrit n’écrivait plus. Lotte, sa femme, sentant l’homme qu’elle admirait, qu’elle aimait, glisser dans la noirceur de ses idées, glissera avec lui dans ce chemin malheureux.
La fin, on la connait. Le 22 février 1942, dans leur maison à Pétropolis, ils se suicidèrent tous les deux. Lotte, qui n’a pas suffisamment été regardée par l’homme qu’elle aimait au cours de leur exil, souhaitera l’accompagner dans son dernier voyage, afin d’exister au moins une fois à ses yeux. L’ultime geste d’amour.
« Nous avons décidé, unis dans l’amour de ne pas nous quitter. » C’est ce qu’écrira Stefan Sweig, dans son dernier livre « Le monde d’hier – Souvenirs d’un européen », envoyé deux jours avant sa mort.
Laurent Seksik nous plonge dans l’univers intime d’un homme en fin de vie, le portrait réussi d’un couple bousculé par l’Histoire.
Paru début septembre, Vers le paradis, impressionnant roman – tant en volume, qu’en qualité – de Hanya Yanaghiara méritait d’attendre une période plus propice afin de le savourer. C’est donc début janvier que j’ai entamé cette lecture. Durant trois semaines, je me suis immergée dans ce(s) formidable(s) livre(s) et j’en suis sortie fascinée par le talent de cette talentueuse autrice.
Si j’écris « livres » au pluriel, c’est que ce roman est en réalité constitué de trois parties intitulées respectivement « LIVRE I », « LIVRE II » et « LIVRE III ». Juste appellation puisque chacune de ces parties nous conte une histoire distincte et pourtant le tout forme un ensemble, un roman. Ce qui relie ces trois « livres », c’est – entre autres – une maison sise Washington Square à New York.
Le premier livre se déroule en 1893. Le récit débute par un dîner dominical dans une famille de le haute société new yorkaise. Ce dîner réunit Nathaniel Bingham et ses trois petits-enfants adultes. Deux d’entre eux sont mariés ; le dernier, David, âgé de 29 ans, est toujours célibataire. A la fin du repas, Nathaniel invite David à le rejoindre dans son bureau pour parler mariage. Début classique, penserez-vous. Pourtant, un détail nous fait basculer dans une autre réalité : dans ce New York du XIXe siècle imaginé par Hanya Yanaghiara, chacun(e) se marie avec qui il ou elle le souhaite, sans jugement d’orientation sexuelle. C’est donc la proposition d’un prétendant que Nathaniel soumet à son petit-fils. David est libre d’accepter ou de refuser… libre aussi de se marier ou non… libre d’aimer là où on son cœur le porte, en théorie. Mais vivre dans un Etat libre suffit-il à l’être vraiment ?
Le deuxième livre s’ouvre cent ans plus tard : 1993, années sida. Un jeune homme originaire d’Hawaï partage la vie d’un homme de trente ans son aîné. Différence d’âges, différence d’origines, différence de classes aussi. Si ce jeune homme n’a que peu de consistance et d’importance aux yeux des amis de son compagnon, il cache un vécu beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Enfin, le troisième livre, le plus conséquent – la moitié du roman – nous propulse dans un New York de 2093 régit par un gouvernement totalitaire, les libertés individuelles sont de l’histoire ancienne, tellement révolue que peu s’en souviennent. Les épidémies se sont multipliées, le réchauffement climatique s’est intensifié, les rapports humains se sont totalement délités. La narratrice s’interroge sur les activités de son mari après avoir découvert de petits mots dans une boîte. En alternance à son récit, un autre narrateur s’exprime à travers une correspondance écrite des décennies auparavant. Progressivement les récits se rejoignent pour nous dévoiler comment le monde s’est désagrégé en si peu de temps.
Jusqu’au bout Hanya Yanghiara maîtrise son (ses) récit(s). Vers le paradis est un roman d’une grande intelligence, une analyse fine de la société, des comportements humains, des dérives déjà à l’œuvre et de leurs possibles conséquences. C’est un roman qui déstabilise son lecteur en bousculant ses attentes, qui pose sans doute plus de questions qu’il n’apporte de réponses, un grand roman à découvrir.
Un monde divisé. Un reinaume sans héritière. Un ancien ennemi s’éveille. La maison Berethnet règne sur l’Inys depuis près de mille ans. La reine Sabran IX qui rechigne à se marier doit absolument donner naissance à une héritière pour protéger son reinaume de la destruction, mais des assassins se rapprochent d’elle… Ead Duryan est une marginale à la cour. Servante de la reine en apparence, elle appartient à une société secrète de mages. Sa mission est de protéger Sabran à tout prix, même si l’usage d’une magie interdite s’impose pour cela. De l’autre côté de l’Abysse, Tané s’est entraînée toute sa vie pour devenir une dragonnière et chevaucher les plus impressionnantes créatures que le monde ait connues. Elle va cependant devoir faire un choix qui pourrait bouleverser son existence. Pendant que l’Est et l’Ouest continuent de se diviser un peu plus chaque jour, les sombres forces du chaos s’éveillent d’un long sommeil… Bientôt, l’humanité devra s’unir si elle veut survivre à la plus grande des menaces.
Sorti en 2019, «Le prieuré de l’oranger» s’est très vite installé comme étant l’une des nouvelles pépites de la littérature fantasy. Avec ces plus de 1000 pages, Samantha Shannon, considérée comme la « nouvelle Robin Hobb », nous plonge dans un univers médiéval et mystique, où Est et Ouest se divise un peu plus chaque jour, notamment, à cause de la peste draconique, maladie contagieuse et dangereuse venue de l’Ouest. Et à l’inverse, où Orientaux sont considérés comme hérétiques par rapport à leur proximité avec les dragons. Au Sud, Le prieuré de l’Oranger, qui n’a pratiquement aucun contact avec l’extérieur, est une sororité de femmes formées à la magie et au combat.
Le récit suit plusieurs personnages importants de l’histoire, du côté des deux frontières, ce qui permet aux lecteurs de rapidement s’orienter géographiquement. A l’Est, Sabran, la Reine d’Inys et Ead Duryan, sa dame de chambre. A l’Ouest, Tané, dragonnière en devenir, ainsi que le docteur Niclays Roos.
Ce roman féministe assumé où principaux rôles et postes de pouvoir sont pourvus par des femmes, l’auteur arrive, sans militantisme, à leur donner une belle place.
Quant à l’univers, rien n’est laissé au hasard, culturellement inspirés de différentes régions de notre monde, il est riche en traditions, ce qui en fait une belle peinture de fond, le tout en un tome seulement.
Même si l’intrigue est assez classique, s’unir pour affronter le mal, c’est une lecture divertissante où des thématiques actuelles sont transposées dans un univers riche aux personnages attachants.
« Un roman graphique touchant dans lequel Mayana Itoïz rend hommage à sa grand-mère. »
Les petits morceaux sont ceux d’une photo, déchirée, par Pierre, le mari de Léo. Durant la seconde guerre mondiale, Léo travaille dans l’auberge familiale réquisitionnée par l’occupant. Elle vit secrètement une histoire d’amour avec une jeune soldat allemand, Félix. Le temps est passé…devenue mère, puis grand-mère, c’est à la fin de ses jours qu’elle révèlera l’histoire de son passé.
« Jean Claude Servais revient à ses premiers amours, les contes ruraux des Ardennes. «
Au 18e siècle, le petit Bellem et sa mystérieuse mère se rendent au château de Reinhardstein, où l’enfant remet une lettre au Marquis de Vauban. Celle-ci révèle qu’il est le fils de la fée Mélusine. Recueilli par le maquis dont la fortune doit sa fortune à la fée, Bellem suivra une éducation religieuse, en compagnie de Marie-Charlotte la jeune comtesse. L’enfant fait preuve d’une cruauté très inventive, d’un don pour les farces inspirées et d’un goût pour la liberté qui va le jeter droit sur les chemins de la découverte de lui-même, au gré d’aventures pleines de magie, d’amour et de drame..
« Hoka Hey ! est un merveilleux hommage au western américain. »
Elevé de force par le pasteur qui administre sa réserve, Georges est un jeune Lakota oubliant peu à peu ses racines et rêvant d’un monde inspiré du modèle américain. Il va croiser la route de Little Knife, un amérindien cherchant à retrouver le meurtrier de sa mère, ainsi que de deux acolytes. Poursuivi par les autorités, une longue quête les attende, où transmission culturelle et partage sont au coeur du récit.
« A l’heure où préoccupations écologiques et aspirations à la décroissance génèrent de nombreuses vocations de néo-ruraux, Le Collectif apporte un témoignage joyeux et plein d’optimisme de ce choix de vie pas si utopique. »
Tout plaquer pour partir vivre au vert et vivre dans un mode de vie plus solidaire…c’est le défi que Mich et Julie se sont lancés en créant un collectif avec des jeunes venant d’arriver dans leur hameau. Tout est à faire, potager, jardin, répartition des récoltes,… La richesse du groupe basé d’abord sur les différences deviennent un problème.
« Les héros pensionnés manifestent contre le néocapitalisme dans la septième fournée des Vieux Fourneaux. »
A Montcoeur, la fête bat son plein en ce premier Mai, où le maire a organisé un pique-nique de l’amitié. Soudain, celui-ci est victime d’une agression à l’arme blanche. On y apprend aussi la mort de d’Armand Garan-Servier, le patron de l’entreprise qui porte son nom. À son décès s’ajoutent d’ailleurs plusieurs incendies inexpliqués qui ne font qu’attiser les tensions déjà palpables dans le village.
Loin de là, à Paris, Antoine participe à la manifestation du 1er mai, où il s’oppose à la violence d’un militant des « black blocs », avant de se retrouver à l’hôpital après une charge policière musclée.
Et encore…
« La philosophie à la portée de tous, une belle adaptation du célèbre roman philosophique de l’écrivain norvégien Jostein Gaarder »
« Qui es-tu ? », « D’où vient le monde ? »,..Sophie reçoit d’intrigantes questions par lettre. La jeune fille est propulsée dans une aventure où elle découvre les principales figures de la philosophie occidentale, et surtout elle-même !
« Avec le sixième tome de « L’Arabe du futur », consacré aux années 1994-2011, Riad Sattouf achève merveilleusement sa série autobiographique. »
Racontant l’enfance et l’adolescence de l’auteur, fils aîné d’une mère française et d’un père syrien. L’histoire nous mène de la Libye du colonel Kadhafi à la Syrie d’Hafez Al-Assad en passant par la Bretagne, de Rennes au cap Fréhel. Ce sixième tome couvre les années 1994-2011. C’est le dernier de la série culte de Riad Sattouf, vendue à plus de 3 millions d’exemplaires et traduites dans 23 langues.
« Blake et Mortimer restent immortels et incontournables dans le paysage d’une bande dessinée classique et inventive. »
Printemps 1963. Dans l’Oural, au coeur de l’Empire soviétique, une mission archéologique découvre sept cercueils dont les cadavres ont la peau du visage arrachée. Au même moment, à Berlin, un homme se fait tirer dessus alors qu’il franchit le Mur coupant la ville en deux. Avant de succomber, il réussit à prononcer un mot étrange : Doppelgänger. A priori, aucun rapport entre ces deux événements. Mais en réalité, il existe bien un lien entre la macabre découverte et le transfuge abattu: Julius Kranz, un chirurgien est-allemand spécialiste des manipulations électro-chirurgicales sur le cerveau humain. Blake et Mortimer vont croiser la route de ce scientifique machiavélique qui prépare la plus grande mystification de l’histoire de l’humanité…
« Une passionnante quête de vérités au coeur des vignes. »
Pas de repos pour Alexandra Baudricourt dont le domaine viticole risque toujours la faillite. Séparée de son mari, elle est bien décidée à trouver les moyens nécessaires pour garantir l’indépendance de sa propriété et faire évoluer ses méthodes de production. Acculée, trompée, elle va très progressivement remonter la piste de ceux qui veulent lui faire du tort et faire éclater la vérité sur l’accident qui a coûté la vie de son chef de culture. Le dernier épisode de la saison 2 de Châteaux Bordeaux nous entraîne au cœur d’une industrie en pleine mutation, où tous les coups sont permis.
Prison de Boniato, au nord de Santiago de Cuba. Dans une cellule, un homme cherche à sauver sa peau. Il implore le directeur d’envoyer un mail à un certain Boris Denisov, un Russe qui pourrait le sortir de cet enfer. A Washington, Jason Mac Lane, alias XIII, est devenu conseiller spécial à la sécurité. Depuis que la Fondation Mayflower, un mouvement d’extrême-droite a reprogrammé sa mémoire, il a tout oublié de son passé. Désormais dévoué à Mayflower, il ignore que ses lunettes, munies d’une caméra, révèlent tous ses faits et gestes à Janet, son épouse, membre éminent de l’organisation. Jason s’apprête justement à s’envoler pour Cuba afin de récupérer le prisonnier. Car le mail a été intercepté : le dénommé Tadine, un hacker de premier ordre, pourrait contribuer à la réélection d’Allerton. Problème, c’est que Boris Denisov s’intéresse lui aussi à Tades. Et que le président Allerton, qui se méfie des ambitions de Janet, ne verrait pas d’un mauvais oeil la disparition de Jason…
« Avec Sabbath Grand Derby, Arthur de Pins met un point final à Zombillénium. »
Le parc d’attractions Zombillénium garde toujours prisonniers des dizaines de visiteurs. Il est convoité par de nombreux démons, chacun désireux d’en devenir actionnaire majoritaire. Seule méthode d’arbitrage acceptée de tous : le Sabbath Grand Derby, épreuve sportive aussi violente qu’inventive où s’affrontent cinq sorcières auxquelles vont être donnés en pâture les visiteurs du parc. Parmi les candidates, Gretchen, tente le tout pour le tout. Les spectateurs du Sabbath Grand Derby, retransmis comme un banal programme de téléréalité, vont en prendre plein les yeux !
« José Luis Munuera adapte librement : Un chant de Noël, de Charles Dickens, un classique de la littérature anglo-saxonne. »
Londres, 1843. Tous les habitants, les mieux lotis comme les plus démunis, s’apprêtent à fêter Noël, à l’exception de Scrooge. Aux yeux de cette riche commerçante, seuls le travail et l’argent ont de l’importance. Une nuit, des esprits viennent lui rendre visite. Ils l’emmènent avec eux, à la rencontre de la jeune fille qu’elle était, quelques années plus tôt, lorsque la cupidité n’avait pas encore rongé son coeur.
« Le bonheur, c’est comme un jardin, ça se cultive ! »
Margaux sent que son couple vacille. Après sa dernière dispute très orageuse avec Pacco, elle déploie des trésors d’amour et d’attention, mais, tel un ours, il boude et poursuit sa vie dans son coin. Et si Margaux trouve enfin l’idée qui pourrait les réconcilier, les deux amoureux peinent à relever le défi. Margaux décide alors de se recentrer sur elle-même, afin de mieux comprendre les sentiments mélangés qui la divisent.
Parmi les livres repris, j’en ai lu deux que j’ai beaucoup aimés.
Le premier lu est « Sauvage est celui qui se sauve » de Veronika Mabardi, édité par les éditions Esperluète.
C’est un très beau texte dans lequel l’autrice évoque son frère décédé. Celui-ci, d’origine coréenne, avait été adopté par la famille Mabardi et avait presque le même âge qu’elle. C’est un récit beau, touchant, poétique qui rend hommage à ce frère trop tôt disparu, artiste en devenir tourmenté par son déracinement et qui n’a pas su s’apaiser.
Le livre est accompagné de dessins de ce frère aimé qui a laissé une trace indélébile dans la vie de Veronika Mabardi.
Le livre est disponible à la librairie au prix de 19€.
Le deuxième livre de la sélection que j’ai lu et beaucoup apprécié est « L’engravement » d’Eva Kavian publié aux éditions La Contre-Allée.
Ils sont là sur le chemin, ces parents, solitaires, en couple, en famille ou pas. C’est le jour des visites, celui ou, malgré la foule, on se sent seul pour aller rendre visite à cet enfant enfermé en hôpital psychiatrique. Chacun y va avec son vécu, sa petite voix intérieure qui relate son humeur, son amour, sa tristesse ou peut-être sa joie parce que c’est le jour de sortie. Eva Kavian fait parler ses personnages de très belle manière et emmène son lecteur à sa suite dans des émotions fortes. Chaque petit chapitre est entrecoupé d’un court texte, voix de aseptisée masquant les émotions.
Ce roman m’a bouleversée, je n’avais qu’une envie en le refermant, c’était de le relire et de le partager avec vous, lecteurs. C’est pourquoi, j’ai invité Eva Kavian a venir nous parler de son travail d’écriture.
La rencontre avec Eva Kavian aura lieu le mercredi 16 novembre à 19h30 à la librairie.
N’hésitez pas à vous inscrire au 081/600.346 ou à librairieantigone@skynet.be
Les autres livres sélectionnés sont
L’apparence du vivant de Charlotte Bourlard publié aux éditions Inculte
Ainsi pleurent nos hommes de Dominique Celis publié aux éditions Philippe Rey
L’apocalypse heureuse de Stéphane Lambert publié chez Arléa
Histoire de Rose, femme mariée à la sauvette à Mr André. André reste secret sur sa vie et ramène un jour une fillette très jeune qu’ils appelleront Michèle.
Très vite, André s’engage dans la résistance (guerre 40-44) et laisse Rose et Michèle à leur triste sort : narration dure mais très réaliste de la vie du quotidien des différents habitants du village sous la domination des « Salauds » et description de ce quotidien où chacun vit sa guerre différemment : « Nous n’avions plus les mêmes ennemis, nous ne vivions plus la même guerre. Ni lui, ni moi, ni les autres voisins, ni personne » (p.141)
Chaque début ou fin de chapitre reprend des lettres envoyées par ces résistants ou par Rose à son André.
Cette femme tient grâce à la composition de listes d’activités à réaliser : « cela a été un soulagement. Poser le crayon sur un bout de papier, y déposer des mots qui devenaient quelque chose à bâtir. Le crayon telle qu’une baguette de sorcier faisait apparaître sur la feuille un avenir agréable » (p.88)
Ce livre décrit la force de ces personnes qui subissent cette guerre. Il est jalonné de divers rebondissements et qui obligent le lecteur à lire l’entièreté pour comprendre enfin l’introduction.
Personnellement, je suis restée accrochée à ce livre et à cette histoire.
Trois adolescents en dernière année du Lycée à Dakar racontent leur quotidien. Venant de familles diamétralement différentes, ils expliquent leur façon de vivre le quotidien mais surtout leur façon de considérer le Blanc, les cousins qui vivent en France et ceux qui ont le pouvoir en tant qu’africain dans leur pays ou en France.
Tibilé est l’héroïne de ce livre, « elle résiste à tout, elle est dans une résistance silencieuse » et nous permet de voir le contraste entre l’éducation très traditionnelle de sa mère et celle de son père.
Pour sa mère : « les Soninkées ne se marient pas avec les Diola. Les traditions déteignent trop dans les bassines du mariage … Elle dira « oui » à un garçon, oui à sa mère, elle veut rester dans le bain chaud familial … elle jouera le jeu qu’on attend d’elle » (p.123) et celle de son père. Ce dernier a fait la Sorbonne, vend des produits venant d’Europe et souhaite que sa fille fasse des études et qu’elle aille faire ce qu’elle veut en France. Leur maison est ouverte à qui veut : « chez les Kanté, les pas de porte sont des parkings de claquettes que tu peux emprunter comme des voitures de location. » (p.55)
Isaa est un ado peul, ancré dans les quartiers pauvres de Dakar. Pour y être allé, l’auteur décrit vraiment l’ambiance de ces quartiers et la débrouille de ces jeunes. Isaa est styliste et gagne sa vie en cousant les vêtements pour les mariages, cérémonies. Il veut son bac pour faire un BTS stylisme.
Neurone est issu d’une famille sénégalaise qui a réussi : père a une grande usine inter-export de voitures venant de partout, riche et très en retrait par rapport au quotidien de Tibilé et Isaa. Son père ne souhaite qu’une chose, c’est qu’il aille faire ses études à Paris « La France va ouvrir à son fils ses bras flasques de vieille blanche et elle ne la lâchera plus. »(p.34)
Neurone apprécie être avec ses amis car ils lui ouvrent une autre façon de vivre le quotidien et la vie au Sénégal. Livre montrant l’impact du colonialisme, le vécu des familles qui vont en France et qui renient leur pays d’origine.
Beaucoup d’expressions assez suaves à mes yeux : pour parler de la chaleur et de la nuit qui vient : « la lune est couverte d’une couette sombre et la nuit retient ses larmes. » (p.88)
pour parler des fous sortant d’un asile, l’auteur écrit « on les retrouve dans le quartier, comme des cerfs-volants sans ficelle. » (p.61)
Lecture de Laurence J. (et coup de cœur de Laurence Merveille !)
Le livre (roman, récit ?) commence alors que Pauline à l’état civil tente de récupérer son prénom de naissance, Polina, que l’administration a remplacé par son équivalent français. Cela s’est passé sans qu’elle s’en rende vraiment compte, les documents étaient plutôt équivoques, elle croyait pouvoir utiliser l’un ou l’autre.
En fait, le livre alterne chapitres récents, relatifs à la procédure légale (rendez-vous au tribunal, échanges avec l’avocate), et souvenirs d’enfance, entre la Russie natale et la France d’accueil. Polina est née à Moscou. Le début de sa vie, elle le passe dans l’appartement communautaire qu’elle occupe avec ses parents, sa sœur et ses grands- parents. Au lendemain de la chute de l’URSS (les chars dans les rues, Boris Eltsine, tout ça tout ça), ses parents décident de quitter le pays pour la France (dans la région de Saint-Etienne). Polina a quatre ou cinq ans, on ne lui explique pas vraiment ce qui se passe ou elle ne le comprend pas, donc elle va s’intégrer à la dure.
Il semble qu’elle ait gardé des souvenirs très clairs de son apprentissage du français (souvent cocasses ou émouvants), mais aussi des stratégies mises en œuvre par sa mère pour lui permettre de (re)tenir sa langue maternelle. Polina retourne tous les étés en Russie, dans la datcha des grands-parents. Là-bas, elle ne doit pas dire qu’elle vit en France, car sa famille craint un enlèvement. Par le biais d’un cas très personnel, on touche donc à ce que cela signifie d’être biculturel, et comment cette double culture s’acquiert et s’installe.
C’est tantôt drôle, tantôt touchant, toujours juste. La langue est moderne et bien maîtrisée. Certains (courts) passages sont en russe, sans que la traduction soit indiquée (par un astérisque), mais la signification apparaît dans le texte-même. C’est le seul élément qui pourrait déranger certains lecteurs. Très chouette découverte.
Je dois bien dire qu’après les premiers chapitres, une désagréable impression de déjà-lu m’a prise. Une jeune fille noire dans un quartier défavorisé, père mort, mère en prison, frère irresponsable, c’est dur et très malheureux mais bon, on connaît, elle tombe dans la prostitution, va-t-elle s’en sortir ?
Heureusement, plus loin, l’histoire se fait plus originale, et j’ai réussi à véritablement accrocher au roman. Car si Kiara tombe dans la prostitution un peu par hasard et bien malgré elle, elle y reste par calcul pour payer le loyer et s’occuper de son petit voisin (leur relation illumine le roman). Et elle va devenir la prostituée de référence d’un commissariat ; on l’appelle pour les pots de départ et les soirées poker entre flics. Comme elle est encore mineure, il va y avoir des pépins. Il lui faudra bien du courage pour dénoncer ce dont elle est victime.
Cette Kiara de fiction, qui est la narratrice du livre, prend vraiment chair sous nos yeux de lecteur, car elle est complexe, à la fois dure et tendre, fragile mais capable de tout pour survivre et surtout généreuse envers ceux qu’elle aime. On est sans cesse au plus près de ses pensées et de son vécu. La plume de Leila Mottley est plutôt poétique.
Ce qui est le plus remarquable, c’est que ce roman (un peu longuet parfois) a été écrit par une gamine de 17 ans et qu’il ne s’agit pas d’une autobiographie déguisée. C’est un fait divers survenu dans sa ville, East Oakland (de l’autre côté de la baie de San Francisco), qui est à la base de cette histoire, mais tout le reste est fictionnel. Très prometteur.
Ce livre raconte assez crûment le quotidien de Louise, femme camerounaise, arrivée à Paris, avec son bébé Bliss, né en France. Cette femme séparée volontairement de son mari, atterrit pour éviter les hôtels miteux du 19ème arrondissement, dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale de Crimée à Paris. Elle nous raconte en phrases courtes, la réalité dans ce centre. Elle dépeint la réalité de quelques femmes présentes dans ce centre et explique la difficulté d’être dans ce statut de paria de la société française. Récit palpitant, assez dur sur la réalité humaine. L’autrice cherche à nous faire réfléchir sur notre façon de considérer l’Autre qui se retrouve dans une difficulté majeure de vie mais elle nous montre aussi les relations qui peuvent s’installer entre humaines quand la dignité est mise à mal.
Très agréable mais terrible lecture que le roman du destin brisé de Jarred. Avant l’accident de voiture qui ouvre le livre et durant lequel il perd l’usage de ses jambes, la vie de Jarred était déjà mal embarquée. Cela, on va le découvrir petit à petit.
Après le minimum de soins à l’hôpital (eh oui, aux Etats-Unis, on ne va pas loin sans assurance), Jarred est plus ou moins mis à la porte. Il n’a personne à appeler, à part son père. Problème, depuis que Jarred a fugué à l’âge de 16 ans (soit 10 ans auparavant), ils ne se sont pas revus, ni même reparlé. Le père vient, l’accueille à la maison, et l’histoire peut commencer. C’est l’apprentissage de la vie en fauteuil pour Jarred (avec de temps en temps des scènes d’anthologie) et la possibilité (ou pas) d’une réconciliation et d’une reconstruction.
Le récit alterne les chapitres sur la vie actuelle des deux hommes et ceux sur leur passé. On n’apprend donc que progressivement les tenants et aboutissants de leur relation et de leur brouille, ainsi que les circonstances de l’accident.
Les situations sont finement observées (on sent que l’auteur est passé par là, les scènes présentant le regard des autres sur le handicap et les réactions du chaisard sont très intéressantes), les personnages sont revenus de tout, écorchés, parfois désespérés mais avec suffisamment d’humour (parfois grinçant) pour nous éviter le marasme.
Jusqu’à la fin, on ne sait pas si la situation va se stabiliser ou éclater, ce qui est pour moi une des qualités du livre. J’ai ri, j’ai été émue, ce livre a vraiment touché une corde sensible.
Il est des pépites qu’on aimerait offrir autour de soi dès les premières lignes et qui nous habitent des jours après la lecture. Mémoires de la forêt. Les souvenirs de Ferdinand Taupe en fait partie. Dès la couverture, nous voici invités en douceur dans cette belle histoire : celle d’Archibald Renard et de Ferdinand Taupe, à la recherche de l’énigmatique Maude.
Archibald Renard est le libraire du village de Bellécorce. Dans sa librairie, chaque animal peut apporter ses écrits et espérer qu’ils soient vendus. Un jour, Ferdinand Taupe, un très vieux et très ancien client, arrive très agité : il recherche ses mémoires qu’il a déposés des années auparavant. Malheureusement ce livre vient d’être vendu et Archibald n’a pas noté le nom du client.
Ferdinand Taupe souffre de la maladie de l’Oublie-Tout et a besoin de son livre pour retrouver ses souvenirs, particulièrement ce qu’est devenue Maude (mais qui est Maude ?). Il ne dispose que de quelques photos et c’est avec ces maigres indices que le libraire va accompagner la taupe sur les traces de ses souvenirs.
Mickaël Brun-Arnaud signe un premier roman tendre et touchant, traitant avec beaucoup de délicatesse de la maladie d’Alzheimer. Diplômé en psychologie, l’auteur connait son sujet : il a travaillé pendant dix ans dans l’accompagnement de personnes souffrant de cette maladie. C’est aussi une magnifique histoire d’amitié et d’apprentissage, rehaussée des très belles illustrations de Sanoe.
A mettre entre toutes les mains, des enfants – entre 9 et 12 ans – aux plus grands.
Le sentimental, vois-tu, ne se résume pas à deux cœurs qui saignent et à des roses rouges. Le sentimental, c’est l’émotion, la liberté. C’est l’aventure, la nature et l’appel de l’ailleurs. Le fracas de la mer et de la pluie sur la toile de ta tente et une buse qui plane sur la prairie, se réveiller le matin en se demandant ce que te réserve la journée et partir le découvrir. C’est ça, le sentimental.
Suivant cette définition, « Au large » est un vrai roman sentimental. Le roman d’une amitié improbable entre Robert – un jeune garçon quittant sa campagne natale pour échapper à la mine, avec un but : voir la mer – et Dulcie, une quinquagénaire solitaire, cultivée et anticonformiste, vivant dans un cottage perdu au milieu de la nature, en compagnie de son Majordome canin.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les privations touchent durement toute la population. Pourtant – et malgré son isolement –, Dulcie possède des réserves étonnantes (une cave bien remplie, des fraises surgelées, du homard et du poisson fraîchement pêchés) et des livres à foison. Autant de victuailles dont elle fera profiter Robert, lui ouvrant les papilles et l’esprit en l’initiant à des mets raffinés et à la poésie. Celui-ci la paye en retour en effectuant quelques travaux physiques d’entretien : débroussaillage du terrain et remise en étant d’un vieil atelier. C’est en triant le bric-à-brac remplissant cette cabane que Robert met la main sur des traces du passé de Dulcie. Cette découverte tissera entre eux un nouveau lien indéfectible.
Il était une fois une petite fille qui jouait dans la forêt, devant la grotte d’une ourse. Une femme la remarqua et, la voyant seule, l’emmena et l’adopta. Douze ans plus tard, la petite fille a grandi, grandi, grandi… jusqu’à devenir plus grande et plus forte que tous les autres enfants de son âge. Plus grande et plus forte même que sa Mamochka chérie. Tellement grande et tellement forte que tout le village la surnomme Yanka l’ourse.
Un jour, lors du Carnaval du Grand Dégel, alors qu’elle joue avec les autres enfants, escaladant un mur, Yanka glisse, refuse l’aide de son ami Sacha qui lui tend la main, et tombe. Un peu plus tard, elle se réveille dans son lit et découvre, sidérée, que ses jambes se sont transformées en pattes d’ourse. Malgré toutes ses connaissances et ses remèdes de guérisseuse, sa Mamochka lui avoue son impuissance et lui annonce que la seule solution est d’aller à l’hôpital. Ceci est impensable pour Yanka, d’autant qu’à sa fenêtre, un petit bouvreuil ne cesse de l’appeler par son surnom « Yanka l’ourse » et de l’inciter à venir dans la forêt.
Mais depuis quand Yanka comprend-elle la langue des bouvreuils ? Et pourquoi ses jambes se sont-elles transformées en pattes d’ours ? Cela aurait-il un lien avec ses origines ? Et avec les fabuleuses histoires du Tsar et de la Tsarine ours que lui raconte le pêcheur Anatoli ? Et si toutes les réponses à ces questions se trouvaient bien dans la forêt ? Bien décidée à trouver qui elle est et à guérir, Yanka fugue avec son fidèle furet, Moustache. Sur son chemin, elle rencontrera Ivan le loup esseulé, Blakiston le hibou, une maison vivante à pattes de poulets et bien d’autres étranges personnages qui, à force d’histoires et de merveilleux « il était une fois », mèneront Yanka à découvrir non seulement qui elle, mais ce qu’elle veut devenir. Finalement, humaine ou ourse, est-il si important de choisir ? L’essentiel n’est-il pas de vivre dans l’amour et la confiance de ceux qu’on aime ?
Middelbourg ne convenait plus à mon père. Moi, en revanche, je ne fais qu’un avec ce lieu. Et ce pays de marais me le rend bien. Il m’offre l’espace dont j’ai besoin pour m’échapper dans la nature. Ce paysage et moi, nous nous ressemblons. Calme, infini, gagné sur la mer et en sursis.
Paul a douze ans. Il vit avec sa mère et sa grande sœur à Middelbourg. Sa mère est divorcée – le père s’est expatrié en Angleterre avec sa nouvelle compagne – et sa sœur, encore adolescente, est enceinte. Paul est un jeune garçon particulier ; il mène une existence plutôt solitaire, mais peuplée de personnages imaginaires, ceux qui animent ses histoires et seront la matière des futurs romans qu’il projette d’écrire. En effet, Paul rêve de devenir écrivain. En attendant, il noircit de notes des cahiers, qu’il achète par paquets sous blister.
C’est à travers Paul que nous découvrons cette histoire, mais aussi d’autres voix étonnantes qui font l’originalité de ce récit. Il n’est pas question de roman d’action, mais d’une atmosphère, celle des polders. C’est le roman d’un paysage, le roman de Middelbourg, de Paul et de ceux qui l’entourent. C’est un premier roman doux, étrange, dans lequel il faut accepter de plonger et de se laisser surprendre par la poésie de Mario Alonso. Un premier roman singulier.
Nadège
*A noter : Mario Alonso est également l’auteur d’un recueil d’aphorismes, paru aux éditions du Cactus Inébranlable, intitulé « Lignes de flottaison ».
« Souvent elle le retrouvait endormi dans son lit. Quelle que soit l’heure. Un lit pour une personne et demie, installé dans le coin de la pièce qui servait à tout. Couché nu ou à peine vêtu. Et quand elle est entrée elle l’a de nouveau trouvé comme ça, habillé de son seul caleçon, étendu sur le côté, bras croisés sur la poitrine, tranquille comme s’il était mort, dans un état d’apaisement qui donnait envie d’être à sa place. »
Ariane Le Fort, autrice belge et prix Rossel pour le roman « Beau-fils » en 2003, a l’art de créer des personnages attachants et de dépeindre leur complexité avec peu de mots.
Janet est attirée par Pierre, cinéaste en perdition après la mort de sa fille dans un accident. Elle ne sait pas si ce qui l’attire en lui n’est pas aussi ce qui la repousse. Elle doit aussi maîtriser son angoisse, elle, dont le fils est parti sur un coup de tête amoureux à l’autre bout de la planète.
Un texte tout en douceur, de belles phrases, un beau texte, de belles scènes.
A l’heure où les experts du GIEC affirment que « les demi-mesures ne sont plus une option », est-il opportun de proposer un roman léger et amusant concernant la sixième extinction ? On peut se poser la question en découvrant « Voix d’extinction » de Sophie Hénaff (précédemment remarquée pour sa formidable brigade de « Poulets grillés ») et c’est avec une certaine appréhension que je me suis lancée dans sa lecture. Entre curiosité et scepticisme. Et pourtant, oui ! il est possible de remplir le défi d’un roman à la fois interpellant et distrayant, la gravité toujours présente sous la drôlerie et la cocasserie coutumières de l’auteure.
Le contexte : nous sommes en 2031, les populations animales sont en passe de disparaître définitivement et une réunion de chefs d’états est organisée afin de voter un traité de protection de la nature. La situation est plus qu’urgente. Et même quasiment désespérée, car la principale voix pour défendre les animaux dans cette assemblée est Martin Bénétant, or s’il est un généticien hors pair, prix Nobel de surcroît, il manque également profondément de confiance en lui et risque de ne pas peser lourd face à la puissance de lobbys menés principalement par son ennemi juré, Edouard Soutellin. Ne sachant plus à qui s’adresser pour obtenir du soutien et un brin de chance dans cette course contre-la-montre, Martin finit par se dire que si vraiment Dieu existe et tient à sa création, il serait temps qu’il intervienne.
Et voilà l’idée totalement improbable de Sophie Hénaff : non seulement Dieu – ou Déesse, plutôt – entend la supplique de l’homme, mais découvrir l’état dans lequel se trouve le monde provoque sa fureur. Noé est convoqué, sermonné et ordre lui est donné de remédier à la situation, non en redescendant sur Terre (hors de question, cette fois !), mais en choisissant quatre représentants du règne animal chargés d’aller défendre eux-mêmes leur cause dans les débats. La mission de Noé : leur donner forme humaine et parfaire leur couverture en leur inculquant les règles de savoir-vivre nécessaires. Malheureusement, le temps est compté et les quatre animaux choisis – un gorille, une truie, une chatte et un chien – sont envoyés sur Terre sans avoir tout à fait bien intégrés les us et coutumes des hommes ni perdus leurs réflexes instinctifs. S’ensuivent des situations tour à tours drôles et touchantes : Sophie Hénaff a un don d’observation fabuleux et rend à merveille les habitudes de chacun de ces animaux, donnant lieu à des scènes tout à fait loufoques quand elles sont exécutées par des êtres humains. On sourit beaucoup, on rit aussi, et on ne manque pas de fulminer contre la bêtise et l’arrogance de notre espèce si prompte à se croire supérieure et si encline à générer des catastrophes pour quelques affligeants billets. Pourtant, tant Kombo le gorille que Bouboule le hamster vous démontreront vaillamment que, du plus imposant au plus petit, chaque espèce à sa raison d’être et qu’il serait grand temps de nous rappeler que de cette nature nous faisons partie.
« D’abord, les faits bruts. » C’est ainsi que commence le premier roman de JoAnne Tompkins. En deux pages, Isaac énonce la disparition de son fils (Daniel) les recherches pendant une semaine jusqu’au matin du huitième jour où c’est son meilleur ami (Jonah) que l’on retrouve. Celui-ci s’est suicidé, laissant une lettre dans laquelle il avoue le meurtre de Daniel et donne les indications nécessaires pour retrouver le corps.
Chapitre suivant, nous faisons connaissance avec Evangeline, une ado, seule dans le mobile home où l’a abandonnée sa mère, menacée d’avis d’expulsion répétés. Evangeline est enceinte, affamée. Quelques semaines plus tôt, elle a croisé la route de ces deux garçons : Daniel et Jonah. Quel rôle a-t-elle pu jouer dans le drame ? Nous l’apprendrons au fil du récit. Pour l’heure, Evangeline se doit de trouver une solution de survie, un refuge pour elle et, surtout, pour la vie qu’elle porte à présent. C’est décidé : elle va tenter sa chance auprès d’Isaac, le père endeuillé.
Si ce roman nous plonge d’emblée dans la détresse et les ténèbres, c’est pourtant un roman lumineux que nous avons entre les mains. Au fil du récit, les personnages s’étoffent, se font plus ambigus et, par conséquent, plus humains et touchants. D’un chapitre à l’autre, JoAnne Tompkins nous invite à nous délester de nos a priori, du prêt-à-penser, de nos certitudes. Comme les Amis quaker d’Isaac, nous voilà en position d’écoute attentive, silencieuse, respectueux des tourments et des souffrances intimes de chacun des protagonistes, admiratifs devant leur combativité, leur ténacité, émus par leur fragilité et leur volonté de dépasser leurs ambivalences et leurs angoisses les plus profondes.
Intelligente et subtile, JoAnne Tompkins nous amène à nous interroger également sur la vérité. Consiste-t-elle en des faits bruts, évoqués par Isaac au début du roman, ou réside-t-elle dans les émotions, comme le pense Evangeline, qui n’hésite pas à « donner une nouvelle version de sa vie, une version minutieusement, complétement, absolument vraie » afin de ne pas passer « à côté de vérités émotionnelles essentielles » ? Après tout s’insurge-t-elle : « Je ne mens pas ! Je ne mens jamais ! Si les faits ne correspondent pas à la vérité, c’est pas ma faute, si ? »
Si la vérité coïncide avec la justesse des émotions, « Ce qui nous reste » est sans doute l’aveu le plus honnête que l’on puisse faire sur l’humanité, ni tout à fait pure, ni tout à fait monstrueuse, simplement en proie à tant de combats intimes que personne ne se connaît vraiment et ne peut assurer tout à fait la part de noirceur et celle de lumière qu’il cache au fond de lui.
« Ce qui vient après » est un roman qui prend aux tripes, qui habite son lecteur en-dehors et au-delà de la lecture, un roman qui commence comme un uppercut et se termine dans une caresse.
Avec Elle et son chat, Makoto Shinkai et Naruki Nagakawa signent un roman sans autre prétention que celle de faire sourire les amoureux des félins et divertir les amateurs de jolies histoires entrecroisées.
« C’était au début du printemps, un jour de pluie. » Ainsi commence l’histoire de Chobi et Miyu. Comme il n’y a pas de hasard, seulement des rendez-vous, c’est en prenant exceptionnellement un chemin différent que Miyu découvre Chobi, abandonné dans une boîte en carton, et décide de l’accueillir chez elle. Une complicité naît et Chobi est très fier de devenir son chat à Elle.
A partir de cette histoire, d’autres récits se tissent, alternant les points de vue humain et animal : des rencontres entre chats et humaines qui prennent mutuellement soin l’un de l’autre, des dialogues entre boules de poils et de griffes en exploration ou défense de territoire, et sur tout cela règne l’aura d’un chien d’une grande sagesse imposant un étonnant respect à toute la gent féline.
Un court roman, tendre et délicat, sur les liens si particuliers que ne nous pouvons créer avec les animaux et leur capacité à nous mettre en relation avec le monde qui nous entoure pour peu qu’on accepte de les suivre.
Kuro se lève d’un bond. Il doit lui montrer ce que c’est, la vie. – Suis-moi ! Il part se promener avec Shino sur ses talons. La vie de chat, ça s’apprend dans la rue. Shino n’est plus toute jeune, mais il n’est pas trop tard pour se lancer dans quelque chose de nouveau. Comme avec un chaton, Kuro use de toute sa patience à lui enseigner les choses de la vie. […] Elle apprendra au fur et à mesure.
Allongée sur le dos, les bras en croix, ouverts comme des voiles légères à la surface de l’eau, la tête immergée, Simone n’entend plus que le bruit sourd du monde. C’est le son des souvenirs, des voiles déchirées, des mâts cassés, les vagues trop hautes qui broient les navires. Elle se met à réciter spontanément un poème qu’elle a recopié dans un cahier :
Homme libre, toujours, tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
[…]
Simone s’abandonne à ce paysage incertain, mais une vague plus forte la fait basculer. Lorsque son corps se met à couler dans l’obscurité, elle se cambre, d’un coup de reins elle remonte et se retourne sur le dos. Les yeux ouverts, elle regarde le ciel rempli d’écume, se dit que la nuit ne finira pas, le son des souvenirs viendra la percuter encore longtemps. Ce ciel n’a rien d’une promesse. Simone ne sent plus ses bras, plus ses jambes, elle se laisse dériver en espérant échouer sur un écueil.
Nous sommes en 1949. Près de 70 ans plus tard, sa fille Hannah écrira :
Un jour j’ai vu ma mère entrer dans la mer comme si elle enlaçait un corps aimé, comme si les coups violents des vagues contre ses hanches étaient ceux d’un amant auquel elle s’abandonnait. Pour elle, l’eau n’était pas glaciale, le soleil ne brûlait pas sa peau. Le vent balayait ses cheveux, révélait la beauté de ses traits et la forçait à ancrer ses pieds plus profondément dans le sable. Son regard cherchait-il quelque chose au bout du vide, attendait-elle que la mer rejette des débris reparus à la surface comme le son des souvenirs ? Alors, ma mère redevenait pour moi une inconnue.
Que connaît-on de ses parents ? de leurs joies et de leurs tourments intimes ? de leur existence avant nous, voire malgré nous ? Toute sa vie, Simone est restée inaccessible à Hanna, murée dans le silence, dans des regards perdus au-delà des flots, les oreilles assourdies du son des souvenirs. A sa mort, Hanna retrouve des photos, des carnets, des coupures de journaux. Elle découvre l’histoire de sa mère, la jeune femme qu’elle fut avant sa naissance, le récit d’un amour et d’une souffrance immense.
Par-delà la mort, Hélène Dorion tisse les liens entre ces deux femmes en remontant les fils de leur histoire familiale, en dénouant les nœuds avec patience et délicatesse. Quel secret les unit et les éloigne inexorablement l’une de l’autre ? Quelles douleurs, parce qu’elles sont tues, se transmettent de génération en génération, comme une fatalité ou une loyauté à toute épreuve, jusqu’à se priver de vivre sa propre vie ? Et comment les mots et, singulièrement, la poésie, peuvent être une clé pour avancer, guérir, se réconcilier et se libérer, enfin, peut-être ?
A travers, l’histoire particulière d’Hanna et de Simone, Pas même le bruit d’un fleuve touche à l’universel : une belle réflexion sur cette difficulté, voire cette impossibilité, de rencontrer l’homme ou la femme au-delà du père et de la mère, et réciproquement d’être reconnu en tant qu’individu au-delà de son statut d’enfant. Comment percer la carapace ? comment se rencontrer d’homme à homme, de femme à femme, d’individu à individu, au-delà du rôle familial et de la hiérarchie des générations ? Qu’est-ce qui, de l’histoire de l’autre, nous appartient aussi un peu, tout en nous restant étranger ?
Pourquoi donc a-t-on tant besoin de beauté ? Et si on la laissait vivre en paix dans l’espoir de la recroiser un jour ? Pensée pour la peau du coyote roux couchée sur ma banquette de camion, la teinte de sa fourrure pareille à celle des cheveux d’Anouk. Sentiment profond que la bonne chose à faire, en matière d’équilibre planétaire, est de protéger les vulnérables. Courir, quand c’est un tyran qui s’approche trop de ta roulotte. Ou riposter. (p. 249)
Après Encabanée, Gabrielle Filteau-Chiba revient avec un roman épris de nature et de liberté, d’autant plus que celles-ci sont menacées.
Raphaëlle, garde forestière au cœur de la forêt du Kamouraska, découvre un site de trappe illégale sur lequel sa chienne, Coyote, s’est fait piéger. Sa colère s’accroît quand elle découvre qu’elle est elle-même surveillée par le braconnier. Celui-ci se révèle en plus un chasseur redoutable et dangereux pour la gent féminine. Prenant personnellement à cœur cette affaire, ne pouvant compter sur son institution pour l’aider à démasquer un homme dont tout le monde connaît le nom, mais que personne n’ose dénoncer ouvertement, Raphaëlle se donne pour mission de protéger à tout prix la nature et ses semblables de ce criminel.
Un roman dépaysant et écologiquement engagé, portant un regard à la fois ébloui et inquiet sur la beauté fragile du vivant.
Se promenant dans sa ville natale de Gand un jour de 1979, le narrateur tombe en arrêt devant une maison : visiblement à l’abandon derrière une grille ornée de glycines, cette demeure l’appelle. Il l’achète aussitôt et va y vivre près de vingt ans. Ce n’est qu’au moment de la quitter qu’il mesure que ce toit fut également celui d’un SS flamand, profondément impliqué dans la collaboration avec le Troisième Reich. Le lieu intime se pare soudain d’une dimension historique vertigineuse : qui était cet homme incarnant le mal, qui étaient son épouse pacifiste et leurs enfants ? Comment raconter l’histoire d’un foyer habité par l’abomination, l’adultère et le mensonge ? À l’aide de documents et de témoignages, le grand romancier belge Stefan Hertmans nous entraîne dans une enquête passionnante qui entrelace rigueur des faits et imagination propre à l’écrivain. Examen d’un lieu et d’une époque, portrait d’un intérieur où résonnent les échos de l’Histoire, Une ascension est aussi une saisissante plongée dans l’âme humaine.
Qualifiée de « roman » par son éditeur, Une ascension, la nouvelle publication de Stefan Hertmans, relève plutôt de l’auto-docu-fiction. C’est ainsi que l’auteur lui-même décrit sa démarche et cela nous semble beaucoup plus juste. En effet, si Stefan Hertmans imagine certains éléments, fictionnalise certains aspects, son travail se base à la fois sur son vécu et sur une enquête minutieuse au sujet de Willem Verhulst.
Par où l’histoire commence-t-elle ? On pourrait la prendre par plusieurs bouts, bien sûr. Alors choisissons de la faire commencer par la lecture d’un témoignage d’Adriaan Verhulst, ancien professeur d’Hertmans et fils de Willem Verhulst : dans Zoon van een ‘foute’ Vlaming, paru il y a un peu plus de vingt ans, Adriaan Verhulst indique que son ancienne maison familiale est occupée par Stefan Hertmans. Celui-ci prend conscience de la dimension historique de ce lieu, de ce à côté de quoi il est passé – volontairement ou non – lors de sa première visite, par exemple. C’est elle qui donne corps au roman : gravissant à nouveau, par le souvenir et la pensée, les escaliers de cette maison de la cave au grenier en compagnie du notaire De Potter, Stefan Hertmans passe en revue chaque pièce et les événements qui s’y sont déroulés. Le portrait de Willem Verhulst et son parcours se dessinent à travers documents officiels, mémoires des protagonistes (Willem Verhulst, Griet Latomme – sa maîtresse, entre autres), le journal tenu par sa femme, Mientje (personnage admirable) et des entretiens de l’auteur avec les filles de Verhulst, notamment.
Tout au long de cette enquête, Stefan Hertmans nous entraîne à sa suite : nous l’accompagnons sur les lieux qu’ils visitent, nous examinons avec lui certains documents. Nous sommes saisis d’effroi face à la froideur et à la folie de cet homme, tout en nous étonnant des étranges circonvolutions de l’Histoire qui fait s’entrelacer les destins, parfois à des années d’écart, pour le meilleur et pour le pire.
En 2019 et 2020, la Ville de Gembloux a lancé son Schéma Communal de Développement Commercial avec un processus participatif. Vous aviez montré un intérêt et/ou participé à une réunion permettant de récolter votre avis sur les fiches-actions à mener dans le cadre de ce schéma.
Certaines fiches sont actuellement lancées notamment celles visant à la définition d’une identité territoriale.
Si ce n’est pas déjà fait, la Ville de Gembloux vous invite à répondre à l’enquête en ligne et à la diffuser autour de vous, notamment à la tranche d’âge moins de 25 ans et plus de 65 ans, sous-représentées dans les réponses actuellement reçues.
Vous avez aussi l’occasion, si vous le désirez, de vous inscrire à des ateliers pour pousser plus loin le processus participatif dans l’identification et la mise en valeur de notre identité territoriale. Prenez contact avec Thomas Larielle de la dynamique urbaine : thomas.Larielle@gembloux.be
« Qu’ai-je fait de ma vie ? » C’est une question que tout le monde se pose un jour ou l’autre et c’est le cas également pour Tom, qui fête ses 50 ans. Cette question le taraude en voyant un petit garçon passer en courant devant son magasin de compléments alimentaires pour culturistes où il est vendeur. Tom est fatigué, de tout, de ce travail inutile, de ses fils d’actualités Facebook ou Instagram qui lui montrent tout le temps la même chose. Fatigué quand il rentre à la maison où rien n’a changé, sa femme toujours pareille à elle-même qui essaie de lui faire plaisir ce qui le force à avoir l’air heureux et le fatigue encore plus. Il y a son fils qu’il n’a jamais compris et qui vit avec une femme qu’il comprend encore moins. Il y a aussi son père, juif, rescapé de la Shoah auquel il refusait de ressembler, raison pour laquelle il a fait du culturisme pour ne plus avoir l’air de ce « petit juif maladif ».
Mais à 50 ans, voilà le fils et le père qui investissent la maison familiale et Tom sait encore moins où il en est quand, lui aussi, ramène à la maison une jeune femme qu’il a sauvé des griffes d’un homme et qui lui soutient qu’elle est une vache.
C’est une histoire cocasse, déroutante mais dans l’air du temps que nous conte Thomas Gunzig. Ses personnages nous bousculent dans nos certitudes anciennes ou modernes. J’ai ressenti de l’empathie pour son personnage déboussolé par la réalité actuelle qui le dépasse.
Un roman actuel et universel à la fois.
Thomas Gunzig viendra nous présenter son livre le 24 février à 19h30. En raison de l’affluence, la rencontre se fera à la Bibliothèque Henin-Sodenkamp, rue des Oies, 1a-2a à 5030 Gembloux.
Quelques mots pour vous remercier pour votre fidélité tout au long de cette année écoulée. Votre gentillesse, vos questions pertinentes, nos conversations et échanges à propos des livres et lors de nos animations nous ont portées, Nadège et moi.
Nous prévoyons quelques rencontres pour cette nouvelle année mais nous attendons une perspective plus dégagée avant de vous donner rendez-vous. Il y aura Michel Francard, auteur du Dictionnaire des belgicismes, Thomas Gunzig devrait venir nous présenter son nouveau roman qui sortira très prochainement, Nadine Monfils viendra également présenter sa série Les folles enquêtes de Magritte et Georgette. Toutes les dates seront annoncées très prochainement, n’hésitez pas à vous inscrire à notre lettre d’information.
Les travaux prévus pour la place de l’Orneau dont on parle depuis quelques années devraient réellement commencer en 2022 mais pas d’inquiétude, nous allons trouver des solutions pour que vous puissiez commander et retirer vos livres facilement. Certains d’entre vous utilisent le service librel.be qui vous permet de commander en ligne et il y aura toujours le téléphone et les mails. Nous essayerons de mettre en place un service de dépôts et de livraisons à domicile si la place se révélait difficilement accessible.
Mais avant cela, nous espérons que vous passerez une excellente fin d’année et vous souhaitons le meilleur pour 2022 : des rires, des chants, des spectacles, des repas entre amis, en famille au restaurant ou chez soi, la vie la plus belle qui soit pour chacun.
J’ai beaucoup aimé ce livre, il m’a profondément touchée au point de m’aider à aimer ma vie. Il y a trois femmes profondément blessées, « sans le montrer », qui vont cheminer l’une vers l’autre dans un chemin de guérison intérieure, se retrouver puis, réparées, apaisées, repartir vers leurs destinées propres.
Et puis il y a ce petit Solen, sans doute un enfant indigo ou asperger, qui dysfonctionne dès que l’amour se fige autour de lui : il réagit comme un indicateur d’amour ; très connecté à lui-même, il sent les choses et arrive à réunir les gens qu’il aime. Il est à l’image de notre enfant intérieur, inter-rieur.
Evidemment c’est un roman, donc peu probable dans les faits, mais tellement nourrissant dans le courage d’être, avec cette complicité typiquement féminine.
Et celui de Philippe : C’est l’histoire de trois jeunes femmes plutôt quadra qui se retrouvent par hasard dans une petite ville de province suite à des circonstances difficiles.
L’une y vit avec son compagnon depuis plusieurs années, elle est devenue muette suite à une quasi noyade dans l’océan. Son couple vit dans l’amour mais aussi dans le silence quasiment complet. Récemment séparée, l’autre est amputée des deux jambes suite à un accident d’escalade et doit se soigner dans des eaux thermales où elle fait la connaissance de la première. Leurs deux personnalités très différentes se confrontent et naît une amitié. La troisième s’est installée là avec son jeune fils, à la recherche d’une mère qu’elle croyait morte et qui, peut-être, y serait installée. Elle bénéficie de la bienveillance d’un commerçant qui la prend en protection, elle et son jeune gamin.
Leurs destins à toutes les trois se croisent et, petit à petit, elles changent leurs manières de voir la vie et de se reconstruire de leur propre drame. Je n’ai lu que la moitié de l’ouvrage. L’écriture est belle et limpide mais lente, très attachée aux détails et à tout ce qui concourt à une atmosphère intimiste. Ca aborde les secrets, les histoires trop douloureuses pour être évoquées, la réparation des fractures secrètes et, peut-être (je ne suis pas allé jusqu’au bout), le prix à payer pour vivre mieux.
Ce livre décrit les années passées en Argentine par Adolf Eichmann, l’architecte de la déportation des Juifs vers les camps de la mort, dans les années cinquante. Son intérêt repose sur un paradoxe : il est à la fois un roman, c’est-à-dire qu’il ne revendique pas la véracité historique. Il est donc écrit de A à Z en se mettant dans la tête d’un des plus grands criminels de tous les temps (observant le monde, réfléchissant à son ancien « travail », inabouti à ses yeux – seulement cinq millions de morts sur la conscience !!! -, à son sort de nazi contraint à la clandestinité, etc.), mais, en même temps, il est écrit par un journaliste qui, à ce titre, a veillé à s’inspirer des meilleures sources bibliographiques, notamment les propres écrits de Eichmann. Cela donne un prétendu « roman » qui se concentre sur les pensées les plus intimes d’Eichmann pendant toutes ces années péronistes et qui, en réalité, n’attache que très peu d’importance au déroulé chronologique de la vie d’Eichmann en Argentine.
On y découvre un homme d’une froideur épouvantable (y compris avec ses enfants), d’un mépris absolu pour les Juifs, machiste, abreuvé d’idées totalitaires et, comme le dit l’auteur, un « assassin timide ». Le livre démarre avec le rapatriement discret de sa femme et ses trois enfants qui arrivent à Buenos Aires grâce au réseau qui organise l’exfiltration des dignitaires nazis depuis l’Allemagne, jusqu’à la capture d’Eichmann par une quatuor de jeunes juifs traqueurs d’ex nazis, en passant par l’obsession de celui-ci à vouloir raconter ses mémoires alors qu’il sait qu’il doit absolument rester discret s’il ne veut pas qu’on retrouve sa trace, cette vanité revancharde étant un des aspects de sa personnalité. On y voit aussi défiler quelques autres nazis avec lesquels il entretient des relations nostalgiques de l’horreur. On y voit tous les détours intellectuels qu’il emprunte pour justifier l’horreur de ses actes et sa haine viscérale des Juifs.
Malgré quelques passages (heureusement rares) où les phrases s’étirent sur une demi-page et ne brillent pas par leur clarté, c’est bien écrit et je ne l’ai pas lâché d’une semelle. Sobre mais glaçant !!
Récit qui nous plonge dans les années 1918-1920 à Dublin dans un service dédié aux femmes qui éprouvent des difficultés durant leur grossesse et qui présentent l’infection de la grippe espagnole.
En suivant le vécu de l’infirmière de service, nous découvrons l’horreur de cette infection, les injonctions du gouvernement qui ressemblent de manière très prégnante à celles du premier confinement. Idem pour la méfiance des gens dans la rue, les transports en commun.
J’ai dévoré ce livre tant cet auteur nous tient en haleine dans ce quotidien de l’infirmière, de son adjointe inopinée et de sa collègue sœur. Il dépeint d’une part le sens du devoir de cette sœur qui assure les soins la nuit, son sacerdoce et la malédiction religieuse qu’elle nomme face à ces femmes dites « paria de la société » et d’autre part, l’humanité de cette jeune infirmière qui se retrouve à la tête d’un service sans y être préparée. L’intervention de la gynécologue, qui a réellement existé, montre aussi le tiraillement des Irlandais durant cette période de guerre et cette épidémie entre sauver sa patrie, ses femmes ou aller dans le sens de la politique et de la religion en vigueur.
Livre haletant, interpellant vu les similitudes avec le covid-19 mais très explicite sur les duretés du soin dans ces conditions d’hygiène difficiles.
Un père accompagne son fils au bord d’une rivière tumultueuse, quelque part en Amérique du Sud. Il lui apprend à pêcher. Mais l’affaire tourne mal et l’enfant est emporté par un monstre aux allures de requin. Son père devient fou et n’ose pas retourner dans son village pour avouer à la Maman le manque de vigilance dont il a fait preuve. Il s’enfonce dans la jungle avec un énorme sentiment de culpabilité. Il tombe sur la Cuja, une vieille femme qui a une terrible réputation et qui décide néanmoins de l’aider au prix d’un pacte avec elle.
Ce livre court et écrit comme une fable ou une métaphore sur la vie pose la question de la survie après la mort d’un enfant. Comment vivre avec le poids de la culpabilité ? Comment renouer avec la vie ? Peut-on encore lui faire confiance ? La vengeance a-t-elle un sens ? Comment renouer avec la communauté humaine ? La mort est-elle la seule solution ? Peu friand de fables, j’ai pourtant été happé par ce roman court et bien écrit, lu quasiment d’une traite.
Une révélation ! Un plaisir intégral de découvrir ce livre et cet auteur. Récit très bien écrit et bien structuré. A partager absolument pour tout qui s’intéresse, de près ou même de loin, à la terre, à la ruralité, à l’élevage, mais surtout à la façon dont une certaine conception du soin à la terre et aux animaux s’entrechoque (très) violemment aux exigences de l’agriculture industrielle.
Cela se passe en France, mais pourrait se passer en Belgique. Un agriculteur d’à peine 38 ans, harcelé par des fonctionnaires zélés et insensibles, fait barrage aux procédures qui s’abattent sur sa têt en matière de suivi sanitaire et décide de « cavaler » dans la forêt, où il disparait pendant dix jours. Ceci est inspiré d’un fait divers authentique qui s’est déroulé (dramatiquement!) en France il y a trois ans. Bien qu’il s’agisse d’un ROMAN, l’intelligence de l’autrice est d’avoir rendu cela plausible via une bibliographie très élaborée et, surtout, d’avoir opté pour une construction narrative en deux temps.
Primo, les jours de cavales en solitaire de Jacques Bonhomme (le nom du personnage central, allusion aux Jacqueries), l’un après l’autre. Secundo, faire parler, entre chaque jour de cavale, ceux et celles qui connaissent cet agriculteur hors normes (par ailleurs, grand lecteur) et qui attestent non seulement de sa bonne foi, mais aussi de sa pratique d’une agriculture vraiment et profondément saine, tant sur le plan « physique » que « moral »: sa soeur, un couple d’amis, d’autres cultivateurs, et… un des fonctionnaires obnubilés par la bureaucratie, troublé par le « mal qu’il a fait, peut-être…. »
C’est un roman profondément ancré dans notre époque, magnifiquement écrit (qui m’a vraiment ému à deux reprises) et qui fait beaucoup, beaucoup écho aux grandes questions de l’avenir des équilibres sur la Terre.
Humain, profond et contemporain (malgré, peut-être, un petit rebondissement dans les dix dernières pages qui n’était peut-être pas indispensable, mais ceci est vraiment mineur….).
La première vie de Cat s’arrête à l’âge de 12 ans, quand, avec sa sœur jumelle, elle quitte la maison familiale, maman et papy suite à un drame.
Après des années en orphelinat, Cat et El s’installent alors que Ross, le petit voisin de leur jeunesse, réapparait dans leur vie. Finalement, Ross épousera El.
Embarquée dans des souvenirs liés à Mirrorland, lieu imaginaire mais bien réel par certains aspects, mélange de l’Ile au Trésor, de Shawshank Redemption, du Monde de Narnia … Cat quitte l’Ecosse pour Los Angeles.
La disparition d’El la fait revenir à Edimbourg et elle devra se battre avec ses souvenirs pour essayer de comprendre ce qui est arrivé à sa sœur. Les messages et indices qui jalonnent son parcours l’obligent à démêler le vrai du faux.
Toute l’histoire est écrite du point de vue de Cat. Le style peut être surprenant au début, Cat oscillant du présent à ses souvenirs sans transition.
Si j’ai regretté une légère baisse d’intensité à la fin de la première partie, un évènement majeur relance brillamment l’intrigue. J’ai vraiment été transporté par cette histoire et par sa fin qui fait la synthèse entre réalité et imaginaire.
Espérons que l’engouement autour de ce premier roman donnera l’idée de faire traduire en français les nombreuses nouvelles écrites par Carole Johnstone.
Serenata et Remington forment un couple plutôt uni, à la soixantaine, par une belle complicité. Les enfants ont quitté le nid ; la fille s’est mariée à un ultra-religieux catholique et enchaîne les grossesses et les prières. Quant au fils, il vit d’expédients et rentre de temps en temps chez papa-maman quand il manque d’argent. Un jour, Remington, qui s’est fait virer de son travail, annonce à Serenata qu’il envisage de courir un marathon.
Ce roman se lit de manière agréable, même si on ne comprend pas au premier abord ce qui met Serenata, la protagoniste principale, aussi en colère dans le fait que son mari se décide, à plus de 60 ans, à courir son premier marathon. Elle ne l’encourage en aucune manière, considérant qu’il ne fait que répondre à une mode horripilante. Dans leur couple, c’est elle la sportive, depuis toujours, mais sans compétition ni publicité. Par contre, des problèmes de genou l’obligent à limiter sa pratique journalière, ce qui l’irrite au plus haut point. Elle doit se faire opérer, mais retarde l’échéance, par peur. Elle a aussi des problèmes de boulot, car elle est voix pour des livres audio, et on lui reproche aujourd’hui ce qu’on appréciait chez elle hier, à savoir de bien imiter les accents.
Premier livre de Lionel Shriver pour moi, donc pas de comparaison possible avec des ouvrages antérieurs. Problème pour moi, la traduction du titre. En anglais, The motion of the body through space, soit Le déplacement du corps dans l’espace, une expression qui revient à plusieurs reprises dans le roman, alors que je n’ai même pas vu passer le temps (qui n’est pas celui de Rem lors de son marathon) qui sert de titre en français.
Le vrai thème du livre, c’est le vieillissement et la difficulté à accepter la réduction des capacités physiques qui y est liée. D’autres thèmes s’y greffent, comme la mode des défis en sport et le business que c’est devenu (après le marathon, le triathlon avec une vraie critique du toujours plus qu’on observe dans ce genre de milieu), l’adhésion à une religion et la perte de libre arbitre que l’on retrouve chez les adeptes (et le parallèle entre sport et religion est parfois parlant), le délabrement des services publics, les listes des choses à faire avant de mourir et aussi le politiquement correct (#metoo et black lives matter sont passés par là).
Au niveau du style, il y a beaucoup de dialogues (plus que dans ce que je lis d’habitude) et de monologues intérieurs. Les dialogues sont souvent très réussis, surtout entre époux, mais le procédé est parfois lourd. Le ton est sarcastique, mais parfois dépasse les limites de la méchanceté. Ce n’est pas si drôle que ça se voudrait, même si ce n’est jamais dénué de pertinence. On peut également reprocher quelques longueurs et répétitions. Toutefois, je ne me suis pas ennuyée.
Durant mes vacances, j’ai lu le nouveau livre de Giuseppe Santoliquido, auteur que nous avions reçu en 2013 pour son roman Voyage corsaire paru chez Ker.
En 2005, dans un petit village italien, une jeune fille de 15 ans disparaît. Chiara a disparu sur le chemin, pas bien long, entre sa maison et celle de sa cousine un peu plus âgée qu’elle, avec laquelle elle devait se rendre à la fête du village. Nous suivons le déroulement de l’enquête mais surtout l’installation d’un spectacle télévisuel mis en scène peu à peu par les télévisions nationales avec la complicité de Lucia, la cousine.
Tout le monde a les yeux rivés sur son écran pour scruter les moindres faits et gestes de la famille, du procureur, des enquêteurs. Ce qui est le cas également de Sandro, le narrateur de l’histoire.
Ce jeune homme, mis au ban du village pour une raison que nous découvrirons au fil du récit était, à une époque, très proche de la famille de Lucia et principalement du Pasquale, le père de celle-ci.
Grâce à sa voix, nous sommes entraînés dans une Italie rurale, magnifique mais ancestrale où les coutumes restent bien ancrées dans le quotidien même chez les plus jeunes. Le suspense est très bien maîtrisé et le lecteur se perd en conjectures pour trouver pourquoi, comment et qui a bien pu faire disparaître Chiara. Mais Giuseppe Santoliquido, ne perd pas son lecteur et son écriture, maîtrisée et très belle, donne à ce roman une très belle couleur.
Une lecture que je vous conseille vivement. Nous recevrons l’auteur le jeudi 30 septembre à 19h30.
Un coup de cœur de Nadège qui aime les lectures méditatives.
Regarder le monde, c’est regarder les êtres aussi bien que les lieux. On peut ainsi mieux comprendre et mieux les préserver.
Après le merveilleux « Petit traité de philosophie naturelle » dont Nadège vous avait parlé durant le confinement, elle a lu ce nouveau récit de Kathleen Dean Moore qui partage ses méditations sur la beauté du monde avec sagesse et sérénité.
Voici un petit extrait que Nadège m’a lu et qui m’a impressionnée :
« Les parents ne veulent -ils pas le meilleur pour leurs enfants ? Pour leur offrir de grandes maisons, nous détruisons d’anciennes forêts. Pour leur offrir des fruits parfaits, nous contaminons leur nourriture avec des pesticides. Pour leur offrir les dernières technologies, nous transformons des vallées entières en décharges de déchets toxiques. (…) Nous serions prêts à faire n’importe quoi pour nos enfants sauf la seule chose qui soit essentielle, nous arrêter et nous demander : que faisons-et que laissons-nous faire ? (…)
Que diront nos petits-enfants Je crois que je peux : Comment avez-vous pu ne pas savoir ? Quelle autre preuve vous fallait-il pour comprendre que vos vies, vos petites vies confortables, nuiraient autant aux nôtres ?(…) Pensez-vous vraiment qu’elle n’était qu’à vous seulement – cette belle planète ?Vous, qui aimiez vos enfants, pensiez-vous vraiment que nous pourrions vivre sans air pur et sans villes saines ? (…) Et si vous le saviez, comment avez-vous pu ne pas vous en soucier ? (…)
C’est un texte fort mais également poétique dans lequel l’autrice parle de sa relation à la nature au travers de son jardin, de ses promenades avec son compagnon, au temps qui passe également avec l’évocation de son père.
« Le nouveau », c’est Kaga, récemment muté au commissariat de Nihonbashi à Tokyo. Il est chargé d’enquêter sur le meurtre de Mitsui Mineko, une femme de quarante-cinq ans retrouvée étranglée dans son studio. Elle aussi était nouvelle dans le quartier.
Si l’intrigue est relativement classique, ce qui fait le charme et l’intérêt de ce roman, c’est d’abord son enquêteur atypique réputé pour son sens de l’observation. S’attachant à de menus détails auxquels personne ne prête attention, il avance étrangement, mais sûrement vers la résolution de l’énigme. Par ailleurs, Kaga s’intéresse autant à l’enquête qu’aux gens qu’il rencontre et fait preuve envers ses interlocuteurs d’une grande humanité, voire d’une délicatesse touchante.
Cette attention à l’humain se révèle également dans la construction du roman, chaque chapitre étant consacré à un personnage lié de près ou de loin à l’affaire, en privilégiant les commerçants du quartier de Nihonbashi. Le lecteur suit Kaga dans ses déambulations, découvre avec lui les petites échoppes, fait connaissance avec les habitants de ce coin de Tokyo. Si le récit semble brouillon au départ et s’il faut s’accrocher pour intégrer tous les noms qui défilent, une géographie finit par se dessiner et les liens se tissent. Chaque chapitre se déploie comme une petite nouvelle – que les personnages réapparaissent ou non, chacun aura droit à la résolution de son mystère – pour s’assembler finalement en un roman cohérent et sensible.