écosociété, Littérature québécoise, poche, Société

Le virus et la proie, Pierre Lefebvre, écosociété.

Le virus et la proie. Le lecteur comprendra le sens de ce titre à la fin de cet opuscule, la lettre de « quelqu’un possédant peu » à « quelqu’un qui possède beaucoup ». Un texte intense qui donne voix à l’impuissance et à la colère que nous pouvons tous ressentir face à une forme d’inhumanité du pouvoir et à l’impossibilité de trouver un lieu et un langage commun d’échange. On l’imaginerait bien au théâtre.

« Comment voulez-vous à ce moment-là que je parle avec quelqu’un qui se sert de tout, tout le temps. Surtout quand il n’y a pas de lieu, aucune institution, où il pourrait nous être donné de parler d’égal à égal. En pleine démocratie – parce qu’on est en démocratie, on n’arrête pas de le répéter, on est des démocrates, nous autres, on n’est pas des malades, des osties, des trous de culs –, en pleine démocratie, c’est quand même hallucinant de ne pas pouvoir trouver un seul endroit où il nous serait possible de nous croiser, monsieur, de nous reconnaître puis d’échanger comme du monde, je veux dire comme deux êtres participant, cahin-caha, à la même tâche impossible, intenable, celle de vivre.

C’est comme si tout était structuré pour empêcher une rencontre entre nous deux. Il n’y a plus d’institution, monsieur. Celles qui sont là n’en sont plus […] l’éducation n’éduque plus, elle passe le plus clair de son temps à tenter d’atteindre des pourcentages de diplomation ; la justice, elle, n’est plus qu’un pur rapport de forces et l’Etat, sous l’impulsion de la mondialisation, a tellement pris plaisir à se disloquer qu’il en a perdu sa souveraineté. Demandez-vous pas pourquoi les taux de participation aux élections s’amenuisent de fois en fois, plus personne n’y croit à vos carcasses vides. Je ne demande pourtant pas grand-chose. Je voudrais juste un espace où on se saurait liés les uns aux autres, et là non par le sang, le sol, la tradition, la foi, la volonté ou je ne sais quelle autre niaiserie, mais par le désarroi, l’humilité de se savoir humain, mortel et puis insignifiant, aussi. Je n’en vois pas, monsieur, d’endroits comme ça, d’endroits où il nous serait donné, à chacun d’entre nous, mais aussi à nous tous ensemble, d’être au monde ; d’être là, indéniablement, mais d’une manière inédite, autrement qu’à la job, que chez nous, dans notre char, le métro, le centre d’achats, notre lit. Mais un lieu comme ça, un lieu où être – juste ça, être –, je ne sais même plus si c’est possible, collectivement, d’en rêver un. »

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