Ecole des loisirs, Enquête, littérature française, Litttérature de jeunesse, Romans

Mémoires de la forêt. Les carnets de Cornélius Renard, Mickaël Brun-Arnaud, Ecole des Loisirs

L’an dernier, Mickaël Brun-Arnaud nous offrait un petit bijou de littérature jeunesse intitulé Mémoires de la forêt. Les souvenirs de Ferdinand Taupe. Poésie, tendresse, humour et jolies illustrations s’entremêlaient dans ce premier roman prometteur. Un an plus tard, le deuxième tome mettant en scène la forêt de Bellécorce et ses habitants est tout aussi réussi : sous-titrée Les carnets de Cornélius Renard, cette nouvelle aventure nous fait découvrir les origines de la librairie d’Archibald Renard. Mais c’est au terme d’une véritable aventure que se révèleront les secrets de cette fabuleuse création.

Alors qu’Archibald mène des jours paisibles dans sa librairie, conseillant ses clients et tentant laborieusement d’écrire son premier livre, alors que les festivités d’automne se préparent à Bellécorce et qu’une atmosphère joyeuse emplit les cœurs, surgit Célestin Loup. Cet inconnu se présente comme le véritable propriétaire de la librairie – preuves à l’appui – et accuse les Renard d’avoir spolié l’établissement de sa famille depuis trois générations. Archibald est aussitôt expulsé et mis à la rue par le maire de Bellécorce. Complètement désemparé, il se raccroche à un petit objet découvert dans ses maigres affaires : un carnet de son grand-père. Celui-ci y mentionne l’existence d’autres carnets dans lesquels il aurait rédigé l’histoire de sa vie et raconté la genèse de la librairie. Comprenant que ceci est son seul espoir pour éclaircir cette triste situation, Archibald part en quête des secrets de son grand-père, accompagné de son neveu Bartholomé, grand lecteur de romans policiers.

Un nouveau roman passionnant et touchant qui donne très envie de découvrir le troisième tome de la série, dont la parution est déjà annoncée pour la fin de cette année.

Nadège

Gallimard, L'Olivier, littérature française, Nouvelles - Théâtre - Poésie

Le retour d’un Prix Nobel et la découverte d’un prix Goncourt

En février dernier paraissait un nouveau recueil de nouvelles de Jean-Marie Gustave Le Clézio. Le prix de Nobel de littérature 2008 nous y donne des « nouvelles des indésirables » : ces hommes, ces femmes, ces enfants invisibles parce que nous refusons de les regarder. On y retrouve l’attention de Le Clézio aux êtres en marge, la qualité de son écriture et sa sensibilité. Tendresse particulière pour Maureez Samson, jeune orpheline à la voix d’or, qui donne son nom au premier texte du recueil, et à la nouvelle « Fantômes dans la rue » rendant le temps de quelques pages un corps et une vie à ces personnes sur lesquelles notre regard glisse trop souvent sans s’y attarder.

Autre recueil, paru en janvier et tout frais lauréat du Prix Goncourt de la Nouvelle : Partout les autres, de David Thomas. Des textes courts – d’un paragraphe à quelques pages – tour à tour incisifs, drôles ou touchants, toujours percutants. Un auteur à découvrir absolument. Et des textes parfaits pour les emplois du temps chargés : vite lus – et relus ! -, mais qui infusent longtemps.

Nadège

littérature française, Récit, Récit de marche, Salamandre

« Quelques pas hors des cases », Edmond Baudoin, Salamandre

Depuis 2019, les éditions de La Salamandre invitent des personnalités à écrire sur leur rapport à la marche dans une jolie collection nommée « Marcher avec… » Certes la ligne n’est pas toujours respectée, il arrive que l’on presse un peu le pas ou que l’on roule avec Marie Dorin et Claude Marthaler, par exemple, mais ça n’en reste pas moins un plaisir de découvrir chaque nouvel opus (ou presque : celui d’Arnaud Villani étant l’exception qui confirme la règle).

L’originalité de cette collection est de sortir des sentiers battus en donnant la voix à des auteurs qui n’ont pas pour habitude d’écrire sur le sujet : Marie Dorin est une ex-sportive de haut niveau, Blandine Pluchet – la pépite – est physicienne de formation… et Edmond Baudoin, le dernier en date, est auteur et dessinateur de bandes dessinées.

Dans Quelques pas hors des cases, Edmond Baudoin nous convie à mettre nos pas dans les siens : dans les rues de Paris, mais aussi sur les sentiers de son enfance à Villars-sur-Var (à une cinquantaine de kilomètres de Nice), le long de la rivière L’Areuse en Suisse, au Canada – où il découvre « l’absence de cercle » et donc l’impossibilité de « faire un tour », au Liban, au Mexique, en Colombie… Il raconte les strates qui s’accumulent au gré des chemins tellement parcourus qu’ils sont peuplés de souvenirs : des pentes grimpées ou dévalées avec les jambes de l’enfance, ces coins reculés où l’amour s’est déployé… Il s’interroge sur le temps qui passe, tant sur soi – on ne marche plus à 80 ans, comme à 40, à 20 ou à 10 ans – mais aussi sur le monde, l’évolution de la société qu’il observe sans nostalgie, mais dont il rend compte avec la responsabilité du témoin. Il parle de la marche plaisir, de la marche effort, de la marche découverte, contemplation… mais également de la marche pour sauver sa vie ou sa terre.

Cactus Inébranlable Editions, littérature française, Romans

Watergang, Mario Alonso, Le Tripode

Middelbourg ne convenait plus à mon père. Moi, en revanche, je ne fais qu’un avec ce lieu. Et ce pays de marais me le rend bien. Il m’offre l’espace dont j’ai besoin pour m’échapper dans la nature. Ce paysage et moi, nous nous ressemblons. Calme, infini, gagné sur la mer et en sursis.

Paul a douze ans. Il vit avec sa mère et sa grande sœur à Middelbourg. Sa mère est divorcée – le père s’est expatrié en Angleterre avec sa nouvelle compagne – et sa sœur, encore adolescente, est enceinte. Paul est un jeune garçon particulier ; il mène une existence plutôt solitaire, mais peuplée de personnages imaginaires, ceux qui animent ses histoires et seront la matière des futurs romans qu’il projette d’écrire. En effet, Paul rêve de devenir écrivain. En attendant, il noircit de notes des cahiers, qu’il achète par paquets sous blister.

C’est à travers Paul que nous découvrons cette histoire, mais aussi d’autres voix étonnantes qui font l’originalité de ce récit. Il n’est pas question de roman d’action, mais d’une atmosphère, celle des polders. C’est le roman d’un paysage, le roman de Middelbourg, de Paul et de ceux qui l’entourent. C’est un premier roman doux, étrange, dans lequel il faut accepter de plonger et de se laisser surprendre par la poésie de Mario Alonso. Un premier roman singulier.

Nadège

*A noter : Mario Alonso est également l’auteur d’un recueil d’aphorismes, paru aux éditions du Cactus Inébranlable, intitulé « Lignes de flottaison ».

littérature française, Livre de poche, poche

« Voix d’extinction », Sophie Hénaff, Livre de Poche

A l’heure où les experts du GIEC affirment que « les demi-mesures ne sont plus une option », est-il opportun de proposer un roman léger et amusant concernant la sixième extinction ? On peut se poser la question en découvrant « Voix d’extinction » de Sophie Hénaff (précédemment remarquée pour sa formidable brigade de « Poulets grillés ») et c’est avec une certaine appréhension que je me suis lancée dans sa lecture. Entre curiosité et scepticisme. Et pourtant, oui ! il est possible de remplir le défi d’un roman à la fois interpellant et distrayant, la gravité toujours présente sous la drôlerie et la cocasserie coutumières de l’auteure.

Le contexte : nous sommes en 2031, les populations animales sont en passe de disparaître définitivement et une réunion de chefs d’états est organisée afin de voter un traité de protection de la nature. La situation est plus qu’urgente. Et même quasiment désespérée, car la principale voix pour défendre les animaux dans cette assemblée est Martin Bénétant, or s’il est un généticien hors pair, prix Nobel de surcroît, il manque également profondément de confiance en lui et risque de ne pas peser lourd face à la puissance de lobbys menés principalement par son ennemi juré, Edouard Soutellin. Ne sachant plus à qui s’adresser pour obtenir du soutien et un brin de chance dans cette course contre-la-montre, Martin finit par se dire que si vraiment Dieu existe et tient à sa création, il serait temps qu’il intervienne.

Et voilà l’idée totalement improbable de Sophie Hénaff : non seulement Dieu – ou Déesse, plutôt – entend la supplique de l’homme, mais découvrir l’état dans lequel se trouve le monde provoque sa fureur. Noé est convoqué, sermonné et ordre lui est donné de remédier à la situation, non en redescendant sur Terre (hors de question, cette fois !), mais en choisissant quatre représentants du règne animal chargés d’aller défendre eux-mêmes leur cause dans les débats. La mission de Noé : leur donner forme humaine et parfaire leur couverture en leur inculquant les règles de savoir-vivre nécessaires. Malheureusement, le temps est compté et les quatre animaux choisis – un gorille, une truie, une chatte et un chien – sont envoyés sur Terre sans avoir tout à fait bien intégrés les us et coutumes des hommes ni perdus leurs réflexes instinctifs. S’ensuivent des situations tour à tours drôles et touchantes : Sophie Hénaff a un don d’observation fabuleux et rend à merveille les habitudes de chacun de ces animaux, donnant lieu à des scènes tout à fait loufoques quand elles sont exécutées par des êtres humains. On sourit beaucoup, on rit aussi, et on ne manque pas de fulminer contre la bêtise et l’arrogance de notre espèce si prompte à se croire supérieure et si encline à générer des catastrophes pour quelques affligeants billets. Pourtant, tant Kombo le gorille que Bouboule le hamster vous démontreront vaillamment que, du plus imposant au plus petit, chaque espèce à sa raison d’être et qu’il serait grand temps de nous rappeler que de cette nature nous faisons partie.

Nadège