Jeanne mène une vie aux apparences modestes et conventionnelles : mariée, elle est mère de deux jeunes filles qui s’éloignent peu à peu du foyer. Ses journées s’écoulent paisiblement, entre son travail à la poste, ses séances de natation, ses soirées et ses fins de semaine avec son mari et ses filles ou dans sa famille de petits agriculteurs. Rien que de très « banal », rien que de très « normal » : Jeanne, c’est vous, c’est moi, c’est une Madame Tout Le Monde parmi d’autres, et on pourrait croire qu’il n’y a rien à écrire sur elle.
Rien n’est plus faux : cette femme à la sensibilité vive et fine nourrit une passion pour l’artiste-performeuse Marina Abramović, qui la fascine parce qu’elle embrasse tout ce qui la terrifie et qu’elle est animée d’une ardeur et d’une audace folles – toutes choses qui lui sont étrangères, à elle, Jeanne la douce, la calme, la discrète, la candide. « Ce que vous faites me console de moi », lui écrit-elle dans une lettre. Cette dilection ouvre en elle et dans son existence un espace inconnu, en friche, sauvage – à explorer.

Jeanne aime aussi la mer et les arbres, suivre des inconnus dans la rue pour les observer à la dérobée et « les retards. L’imprévisible qui surgit dans la vie. Pas dans la sienne. Dans la vie des autres » – mais cette fois, c’est dans la sienne qu’il surgit, en la personne de Martin, son premier amour, dont la réapparition inopinée colorera son existence de teintes nouvelles – pas forcément celles qu’on imagine d’abord.
La beauté des jours est un roman sur la non-banalité des existences « banales », qui montre comment une vie ordinaire peut être enluminée et nuancée, approfondie et épaissie, pour peu qu’on s’en donne la peine – ou plutôt la joie ! Les détails et les choses les plus simples, les plus humbles, y prennent sous le regard attentif de Jeanne et de l’auteure un relief et un éclat dont on pourrait les croire dépourvues – parce qu’on ne sait pas regarder … C’est un roman qui illustre les pouvoirs de l’art, sa nécessité même, si l’on aspire à une vie haute et dense, une vie qui ne soit pas bornée et plafonnée, rangée et étiquetée, étriquée et asséchée.
C’est aussi une histoire de transformation, d’éclosion et d’épanouissement : le travail et la personnalité de Marina Abramović fermentent en Jeanne, et décantent, tout comme ce que réveillent ses retrouvailles avec Martin. Peu à peu, elle fait peau et âme neuves, sans changer pour autant, en restant Jeanne, dans la beauté renouvelée des jours.
En un mot, c’est un roman lumineux, écrit dans une langue d’une grande sobriété, simple et claire, vive et juste, qui réjouit et vivifie.
Delphine