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« La Vaine attente » – Nadeem Aslam

C’est d’abord la couverture qui intrigue…Un livre percé d’un long clou rouillé sur lequel est posée une tulipe noire. Il s’agit d’un symbole : la culture et l’histoire sont bafouées, maltraitées de manière violente et la fleur représente l’échange entre les hommes et les femmes ainsi que la fragilité. Culture? Maltraitance? Barbarie? Relations hommes-femmes? Fragilité? Rien ne correspond mieux à la description de l’Afghanistan tel qu’il se déploie au long des pages de ce roman.

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S’il est fictif, il s’appuie et relate néanmoins les évènements qui secouent ce pays de la fin des années septante à 2005, date à laquelle se déroule l’intrigue. Il ne s’agit pas d’une simple évocation de faits d’arme et d’espionnage politique puisque Nadeem Aslam insiste également sur la montée en puissance de l’extrémisme religieux et la modification des moeurs sociales, politiques et religieuses qu’entraînent la multitude de chaos qu’a connus l’Afghanistan.

L’histoire commence dans une maison qui a l’air fraîche et paisible, dans le fond d’une vallée qui a dû être verdoyante et luxuriante. Ses murs sont recouverts de boue tandis que l’immense tête renversée d’un Boudha de pierre fait office de mur dans l’atelier qui jouxte cette propriété, signes que la religion est fortement prégnante dans le dénouement de l’histoire. La boue a été posée sur les murs pour recouvrir les dessins d’une fresque représentant des êtres vivants: le propriétaire, Marcus, voulait simplement protéger son bien des règles talibanes d’interdiction de représentation d’êtres vivents. Le Boudha rappelle qu’avant d’être musulman, le peuple afghan a été boudhiste. Aucune religion ni civilisation n’est immuable. Centrer (Alt+c)

Marcus, le propriétaire de cette bâtisse, est un médecin anglais qui s’est converti à l’Islam par amour pour Qatrina, femme afghane et médecin dont le mariage et la profession sont les prétextes de sa mort. C’est elle qui, sombrant dans la folie en raison de sévices,  a cloué les livres de leur bibliothèque au plafond – afin éviter qu’ils ne leurs soient confisqués.

Marcus accueille chez lui une femme russe, Lara en même temps qu’un américain, David. A eux trois, ils représentent les ennemis de l’Afghanistan au cours des XIXème et XXème siècles. Tous trois, pour des raisons qui leur sont propres, sont à la recherche d’informations concernant la mort de Zameen, la fille de Marcus, une quinzaine d’années auparavant.  C’est ainsi que des flash-back judicieusement placés par l’auteur ponctuent les quelques journées que passent les protagonistes dans la maison de boue et que le lecteur apprend les déconvenues de Zameen et de son fils, chacun possédant une bribe de son histoire.

La retraite de ces trois adultes va être bouleversée par l’arrivée impromptue d’un jeune homme, Casa, qu’ils recueillent blessé. Elevé dans des masadras et auteur de plusieurs attentats à l’encontre d’occidentaux, Casa se rend progressivement compte à leur contact qu’il ne connaît rien du monde, que celui-ci est totalement différent que celui que les talibans lui avaient dépeint depuis des années. Sa reflexion se voit encore accentuée par l’arrivée d’une jeune amie de Lara, la jeune institutrice de l’école de la ville la plus proche. Elle est venue demander protection à Marcus, se sentant menacée pendant l’absence de son père.

La rencontre entre ces deux factions, ces deux points de vue sur l’Islam est merveilleursement décrite. Se partageant le même tapis de prière, Casa et Dunia ne se comprennent pas. Elle croit en sa religion mais voudrait être reconnue pour ses diplômes, son métier et son statut de femme. Casa la trouve outrageante, ne comprend pas pourquoi elle aspire à des rêves de modernité.

C’est cela qui est beau dans la récit de Nadeem Aslam: la confrontation des points de vue. S’il fustige l’islamisme et ses dérives, l’auteur n’en oublie pas que l’Afghanistan fût un grand et superbe pays et critique ouvertement les invasions et autres enjeux politiques et militaires qu’il subit, malgré lui. Il plaide pour, non pas l’émancipation des femmes, mais pour la simple et juste reconnaissance de leur existence, pour leur redonner un visage.

La Vaine attente, Nadeem Aslam, Seuil, octobre 2009